La Russie scrutée à la lentille

dimanche 1er septembre 2002, par Eza PAVENTI

Cet été, 14 réalisateurs membres du groupe montréalais KINO’00 ont été invités à réaliser et présenter des films en collaboration avec des réalisateurs russes à Saint-Pétersbourg. Regard impressionniste sur une expérience déroutante.

Afin d’accéder au centre pour artistes Pushkin skaya-10, nous devons pénétrer dans l’une des nombreuses cours intérieures de Saint-Pétersbourg. À l’époque du régime communiste, ces murs constituaient l’un des temples cachés de la musique rock. Aujourd’hui, les locaux sont occupés par divers artistes, dont les apprentis cinéastes de l’école Deboshir Film Studio. Nous les rencontrons ce matin en compagnie du professeur et fondateur de l’école, Alexandre Bashirov. Quelques-uns d’entre nous lançons des regards timides à nos homologues russes.

Nous sommes 14 jeunes réalisateurs montréalais, ordinateurs portables et caméras numériques en mains, venus tourner de courts films au cœur de l’ancienne Leningrad. Les organisateurs du Festival of Festivals de Saint-Pétersbourg, nous ont invités à produire un « Kino Kabaret ». Notre mandat consiste à réaliser et à présenter cinq ou six films par jour pendant la durée du festival. Dès le départ, nous avons souhaité entreprendre ce marathon de la vidéo en collaboration avec des Russes. La plupart de nos collègues ne parlent ni l’anglais ni le français. Heureusement, un interprète est parmi nous pour nous aider à établir ensemble quelques règles de base.

La confusion ne tarde pourtant pas à s’installer. La différence culturelle se fait sentir dès les premiers instants où nous essayons de trouver les moyens de travailler ensemble. Une réunion chaque matin à neuf heures ? Impossible à concevoir pour nos amis russes ! En particulier pendant la période festive des nuits blanches, un moment dans l’année où le soleil ne se couche que quelques heures dans la ville nordique. Notre esprit de « Nord-Américains productifs » s’en trouve un peu ébranlé. Lorsque nous commençons à exposer les synopsis de nos courts films, cette fois-ci, ce sont les Russes qui sont confus. « Oui, mais, quelle est l’histoire ? » nous demandent à tout bout de champ nos acolytes habitués à tourner des scénarios de type linéaire.

Les sujets des films mettent en relief nos préoccupations. La sexualité, l’amour et les relations interpersonnelles sont des thèmes qui reviennent régulièrement chez les Russes. Les sujets politiques ou sociaux sont complètement évacués. De notre côté, nous sommes à la fois fascinés et charmés par la douce anarchie qui règne dans notre pays d’accueil. Nous espérons, à travers nos films, découvrir une autre Russie que celle décrite dans nos médias occidentaux.

L’âme russe demeure cependant difficile à saisir. Nous nous en apercevons assez rapidement en cours d’aventure. Nous apprenons, par exemple, à ne pas aborder certains sujets, dont le communisme. Personne n’a envie d’en parler. Pas plus que de la politique actuelle. Dans les boutiques de Saint-Pétersbourg, on vend aujourd’hui des t-shirts avec l’effigie du drapeau américain. Mais dans les épiceries, on doit se procurer un coupon sur lequel est inscrit le nom des produits désirés, payer à la caisse, revenir devant l’étagère des produits et tendre la facture afin de repartir avec nos biens. Un système qui rappelle les temps communistes.

Plus les jours passent, plus nous avons l’impression de nous enfoncer dans une sorte de désordre organisé. Dans les endroits publics, personne ne semble appliquer le concept de la file : il faut se faufiler parmi la masse pour obtenir un renseignement ou un billet. Dans les rues, les policiers effectuent des contrôles de pièce d’identité quand bon leur semble. Lorsque ceux-ci deviennent trop insistants, nous laissons tomber sur le sol un billet de 10 dollars US. D’un autre côté, nous exécutons souvent des aller-retour entre la chambre d’hôtel et notre espace de travail avec du matériel de tournage coûteux sans jamais nous sentir menacés par le vol. Les petits voleurs de rue comme les auteurs de crimes organisés semblent complètement absents. En général, la communication avec les citadins reste difficile. Les visages sont fermés, la barrière de la langue est un obstacle de taille.

Les films réalisés au fil des jours traduisent l’ambiance kafkaïenne qui règne en Russie, ou plutôt notre incompréhension vis-à-vis une société qui fonctionne de façon très différente. En bout de ligne, nous constatons que notre séjour de dix jours est trop court pour nous permettre de nous faire une idée précise de la réalité complexe des Russes. Nous repartirons de cette aventure avec le souvenir de la lumière du soleil de minuit, celui du chaos qui règne dans les rues de Saint-Pétersbourg et la fierté d’avoir réussi à vivre de véritables échanges avec nos camarades russes grâce à notre passion commune pour la caméra et le montage.

Eza Paventi, journal Alternatives


Reportage réalisé en Russie.

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