La Guerre d’Espagne, 70 ans déjà

lundi 11 septembre 2006, par Francis Dupuis-Déri

« Et dès lors ce fut le feu / ce fut la poudre / ce fut le sang », écrivait le poète Pablo Neruda en repensant au matin du 19 juillet 1936 et au choc du coup d’État orchestré par quelques colonels espagnols. Soixante-dix ans déjà... Des colonels accoquinés aux grands propriétaires, aux catholiques et aux fascistes (« phalangistes » en Espagne), et voilà le camp « nationaliste » - quel joli nom... - qui pose sa botte sur la moitié de l’Espagne. Ailleurs, le peuple de « l’Espagne pauvre par la faute des riches », disait Neruda, se rassemble, ameuté par la rumeur. On se masse devant les casernes, avec ou sans armes, pour mater la peste militaire. Cette foule est l’écume d’une vague qui travaille en profondeur depuis le début du siècle. L’Espagne est lourde de semences révolutionnaires. Les organisations anarchistes se réclament d’un million de membres, sans compter les communistes de diverses tendances.

Guerre civile ou révolution ? Le régime républicain tente de rassembler sous sa bannière effilochée un front antifasciste, mais il est débordé à gauche par des ouvriers et des paysans qui font fuir ou assassinent propriétaires, patrons et curés, et se lancent dans l’autogestion. Les militaires fusillent en masse les syndicalistes, et au passage le poète Garcia Lorca. Et pourtant, l’ordre règne. D’un côté, l’ordre autoritaire. De l’autre, l’ordre égalitaire autogestionnaire qui assure et coordonne à la fois la production, la distribution et l’effort de guerre. Les colonels sauront convaincre l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler d’envoyer des troupes. La révolution fascine les esprits et mobilise les corps. Des écrivains parmi les plus célèbres se rangent du côté du front antifasciste : Ernest Hemingway, George Orwell, André Malraux. On croise même Antoine de Saint-Exupéry dans des casemates républicaines. Mais les régimes libéraux comme celui de la France et de la Grande-Bretagne refusent de s’en mêler, préférant envoyer leurs athlètes aux Jeux Olympiques de Berlin en août 1936.

L’aviation allemande teste ses techniques de bombardement massif dont la violence inspire à Pablo Picasso sa célèbre toile Guernica. Le tableau circule rapidement parmi les divers comités qui mobilisent les Brigades internationales. Au Canada, ce sera la brigade Mackenzie-Papineau, composée principalement de travailleurs des Prairies radicalisés pendant la crise économique du début des années 1930. Au Québec, les franco-catholiques sont plutôt horrifiés par les récits des rouges brûlant des églises, alors que l’abbé Groulx suggère qu’un régime autoritaire convient bien à la culture des peuples latins comme ceux du Portugal, d’Italie, d’Espagne et du Québec. Ce qui n’empêchera pas des dizaines de Canadiens français de joindre les rangs de la brigade Mackenzie-Papineau.

La guerre brouille les esprits. Il faut unifier le front antifasciste avant de penser à transformer la société, entend-on de plus en plus. Des anarchistes deviennent ministres au gouvernement. On se bat même entre révolutionnaires à Barcelone. On grogne contre l’organisation autonome des 30 000 Femmes libres (Mujeres Libres) qui refusent de se fondre avec leurs mâles camarades trop misogynes. Des armes et des soldats arrivent de l’URSS, mais ce n’est ni pour les anarchistes ni pour les trotskistes (lire Hommage à la Catalogne, d’Orwell). Le feu et l’acier aussi bien que les trahisons viennent à bout des républicains et des révolutionnaires en avril 1939. Ceux qui restent sont fusillés par dizaines de milliers. Ceux qui traversent les Pyrénées se retrouvent en France dans des camps. La Seconde Guerre mondiale éclate cinq mois plus tard. La résistance clandestine à Franco se poursuivra jusque dans les années 1970, ainsi que la répression. « Franco l’assassin », dira Neruda, « Sois seul et en éveil entre tous les morts, et que le sang tombe sur toi comme la pluie ».

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