La panne économique, malgré la première place mondiale pour la production de cacao et la seconde pour le café, tient dans l’incapacité à financer le développement sur le modèle ancien. Les médecines classiques (les programmes d’ajustement structurel du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale) ont été suivies et tout a été privatisé, ou presque. L’échec social qui en a résulté est très grave (voir l’article ci-contre).
La panne politique tient à l’inaptitude des nouveaux partis politiques (le multipartisme ne remonte qu’à 1990) à asseoir leur pouvoir sur d’autres critères que ceux de l’ethnicité. L’ancien parti unique a théorisé le concept d’« ivoirité » - est Ivoirien seulement celui qui est né de père et de mère qui sont eux aussi ivoiriens - pour réduire l’influence électorale des « gens du Nord » : Burkinabés, Maliens, Guinéens, etc… Ces derniers ont contribué à construire le « miracle ivoirien » depuis 50 ans, sans trop de problème d’identité, mais avec la crise économique, ils se retrouvent maintenant sans-papiers, et souvent sur des terres qu’ils ont défrichées, sans aucun titre foncier. Le taux d’étrangers en Côte d’Ivoire est supérieur à 30 %.
Les événements se sont brutalement aggravés avec le coup d’État d’un vieux militaire, Robert Gueï , en 1999, l’interdiction d’un candidat du Nord à la présidence, Alassane Ouattara, pour cause d’inéligibilité (alors qu’il s’agissait d’un ancien premier ministre de Houphouët-Boigny) et l’élection de l’actuel président, Laurent Gbagbo, en 2000, dans une configuration électorale pour le moins surprenante.
Le malaise s’est installé dès les premiers mois de pouvoir de Gbagbo avec des exactions graves de la gendarmerie dans certains quartiers (charnier de Yopugon). Le désordre s’est généralisé avec l’entrée en lice de « rebelles » dans le Nord et l’Ouest du pays, en septembre 2002, qui a abouti à une partition de fait du pays entre le Nord à partir de Bouaké, tenu par le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), et le Sud jusqu’à la mer, resté sous contrôle gouvernemental. La France, qui dispose depuis l’indépendance de forces militaires stationnées en Côte d’Ivoire, les a disposées le long d’une ligne de cessez-le-feu de façon à s’interposer. Devant la violence des combats et les risques de dégradation dans chacune des deux zones, la France a porté sa présence militaire à 2 500 hommes.
Le Cedetim a été signataire de plusieurs appels pour refuser le pourrissement de la situation en Côte d’Ivoire, et souhaiter une intervention française et multinationale afin d’éviter les conséquences d’un retrait qui aurait pu être catastrophique. Le syndrome rwandais a sans doute marqué nos esprits. La France, en ayant encouragé le cessez-le-feu et pris l’initiative d’une grande conférence en région parisienne, avec toutes les parties prenantes du conflit ivoirien, a pris une initiative cohérente. Il lui appartient désormais de mettre sans plus attendre le Conseil de sécurité de l’ONU en charge de cette affaire et de réussir le transfert de la force militaire d’interposition aux troupes d’Afrique de l’Ouest qui en ont reçu le mandat.
Le président de la République, Laurent Gbagbo, sait qu’il a gagné les élections par surprise. Il ne peut espérer durer qu’en créant, seul contre tous et de toutes pièces, un État de droit. Il doit aussi préserver son parti, le Front populaire ivoirien (FPI), de la dérive ethnique pour au moins deux raisons : le peuple ivoirien est multiethnique, le FPI doit le rester et le revendiquer, et s’il y a dérive ethnique, l’origine bétée de Gbagbo, très minoritaire dans le pays, lui interdira toute éventuelle réélection. Et pourtant, son parti ainsi que son journal Notre Voie se sont déjà lancés dans une campagne xénophobe qui les déshonore, tout autant que l’Internationale socialiste dont il est membre…
Nous formulons des vœux, à l’occasion de la nouvelle année 2003, pour que tous les responsables ivoiriens, politiques et militaires sachent éviter à leur peuple les « guerres sans fin » qui se sont multipliées ces derniers temps en Afrique (Soudan, Libéria, Sierra Léone, Rwanda, Congo-Kinshasa, etc.).
Jean-Yves Barrère, membre du Cedetim et président du Consortium de solidarité avec Madagascar.