L’essor économique de la Chine serait-il une menace pour les économies occidentales ou provoque-t-il simplement un repli nationaliste et protectionniste de ces pays ? Mise au point sur ce « nouveau péril jaune ».
Lorsque la Chine s’éveillera, la terre tremblera a affirmé un jour Napoléon Bonaparte. Comme nous le savons tous maintenant, l’économie de l’Empire du Milieu tourne à plein régime. Avec un taux de croissance qui oscille aux alentours de 9 % depuis plusieurs années, la perception des succès des Chinois chez les dirigeants occidentaux est vite passée de l’émerveillement à l’appréhension.
Celle que l’on dénomme désormais « l’usine du monde » fait la manchette plus souvent qu’à son tour des médias occidentaux. À l’instar du présentateur Neil Cavuto, de la populaire chaîne américaine Fox News, qui déclarait qu’« après avoir eu peur que tout soit fabriqué en Chine, maintenant nous craignons que ce pays nous achète morceau par morceau », la pléthore d’articles ne décrit pas uniquement l’émergence économique du géant asiatique, mais le dépeint aussi comme une menace. Ainsi, dans les médias, la Chine semble responsable des déboires des économies occidentales, de la perte des emplois dans l’industrie textile jusqu’à la flambée du prix du pétrole.
En plus des médias, la classe politique occidentale est de plus en plus préoccupée par la place grandissante de cet État dans l’économie mondiale. Le premier janvier 2005, avec la fin de l’Accord multifibre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) permettant aux États membres d’imposer des quotas aux importations de textiles chinois, tant les États-Unis que l’Union européenne ont vivement réagi pour freiner l’arrivée massive de ceux-ci sur leurs marchés. En avril, le commissaire européen au commerce, M. Peter Mandelson, affirmait qu’« il y a des raisons d’être préoccupés. L’Europe ne peut pas rester sans rien faire. »
Pour ces raisons, la tentative d’achat cet été de la pétrolière américaine Unocal par la société étatique chinoise China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) s’est soldée par un échec. Cette offre d’achat a provoqué une levée de boucliers au Congrès américain. L’on a alors sorti l’épouvantail du communisme, évoqué la menace du budget militaire chinois et affirmé l’importance du pétrole dans la sécurité énergétique américaine. Ainsi, et malgré une offre de 18,5 milliards de dollars américains de la part de CNOOC, c’est vraisemblablement la compagnie américaine ChevronTexaco qui mettra la main sur l’Unocal... avec une offre moindre, soit 17,1 milliards.
En plus du déferlement des produits chinois en Occident, les entreprises chinoises convoitent aussi les symboles de l’économie américaine. Nos voisins du Sud ont accusé le premier choc lorsque l’entreprise informatique chinoise, Lenovo Group, a acheté la division PC d’IBM en 2004. Et Haier Group, le numéro un de l’électroménager chinois, a fait une offre pour acquérir l’entreprise américaine Maytag, offre abandonnée en juillet 2005.
Ce dynamisme économique contribue à augmenter les appréhensions de l’Occident vis-à-vis de la Chine. Peu importe qu’au total, en 2000, la Chine ait investi près de 400 millions de dollars américains aux États-Unis, comparativement à un peu plus de 230 milliards de dollars pour la Grande-Bretagne et de 159 milliards pour le Japon. C’est l’Empire du Milieu qui, selon les Américains, met en péril leur économie. Cela permet surtout de mettre à nu le double discours des gouvernements occidentaux, chantres du libre-échange absolu : celui du deux poids deux mesures à l’égard du commerce international et du développement.
Deux poids deux mesures
En effet, une certaine fièvre protectionniste s’empare des gouvernements qui, pourtant, affirment que le libre-échange est la planche de salut du développement des États du tiers-monde. Lorsque des multinationales européennes, américaines ou canadiennes parviennent à percer le marché chinois, ce sont de bonnes nouvelles pour les économies occidentales. Toutefois, le contraire apparaît comme un danger, une menace pour nos économies locales.
D’une part le libre-échange, réduisant l’intervention gouvernementale et éliminant les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce, est promu sur toutes les tribunes : des négociations pour une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) à la promotion des investissements étrangers directs des multinationales, sans oublier les pressions des institutions internationales sur les pays en voie de développement pour libéraliser leur économie et les ouvrir au commerce international.
D’autre part les États développés, tout en prônant un libre-échange quasi total, pratiquent un libre-échange partiel quand il s’agit de protéger leurs intérêts nationaux. La question des subventions agricoles est un excellent exemple de ce double discours. En avril dernier, un article du quotidien français Libération citait un fonctionnaire européen qui, ironique, affirmait qu’« [o]n ne peut pas souhaiter durant des décennies le développement de pays comme la Chine ou l’Inde et, dès qu’ils deviennent compétitifs dans un secteur, leur fermer nos marchés ». Il est difficile de soulever le paradoxe plus clairement. Reste à voir comment les Occidentaux réagiront à l’invention d’un « nouveau péril jaune ».