Marwan Barghouti était le leader des étudiants de BirZeit. La gauche avait l’ascendant, sans vraiment dominer. La droite, les ancêtres de Hamas, faisait campagne contre les « athées », le socialisme, le mouvement des femmes. Sous l’égide du Fatah, le principal mouvement national, Marwan s’est imposé. D’un bout à l’autre du pays, nous avons rencontré de multiples organisations populaires, incubatrices d’un nouveau nationalisme ouvert à d’autres valeurs et d’autres idées. Comme de travailler avec les amis israéliens, ceux de la gauche comme ceux du mouvement pour la paix.
Un an plus tard, l’Intifada embrasait la Palestine. Apparu à la télévision sous la forme de jeunes affrontant les blindés israéliens, l’Intifada était essentiellement un grand mouvement de résistance pacifique, populaire, réunissant jeunes et vieux, hommes et femmes, pauvres des camps de réfugiés et classes moyennes. Contrairement au mouvement national incarné par l’OLP et Yasser Arafat, cette Intifada était un mouvement social décentralisé, partout et nulle part, non militarisé, ce qui rendait la tâche très difficile aux autorités d’occupation. Le monde entier, y compris une grande partie des Israéliens, en fut bouleversé.
Le retour des dinosaures
En 1991, j’étais en Cisjordanie de nouveau. En quelques heures, les blindés irakiens créèrent une nouvelle donne au Moyen-Orient. Yasser Arafat, allié de Saddam Hussein, choisit son camp de la manière qui a toujours caractérisé son leadership, sans consultation et sans vision. Quelques mois plus tard, les Irakiens étaient boutés dehors du Koweït et les États-Unis revenaient au centre de l’échiquier politique.
Devant l’affaiblissement d’Arafat, les Israéliens entreprirent deux stratégies parallèles. Briser l’Intifada, en accentuant la répression et en bénéficiant du fait que le capital de sympathie pour les Palestiniens s’était affaibli de l’alliance avec Saddam. Tout en engageant des négociations secrètes avec le vieux chef palestinien. Émergea l’accord d’Oslo. Le gouvernement israélien faisait d’une pierre deux coups : refouler les revendications palestiniennes fondamentales (droit à la souveraineté dans des frontières reconnues et protégées, retour des réfugiés) ; et remettre Arafat au centre du processus en permettant son retour en Palestine occupée. Ce qui devait mener aux yeux des stratèges israéliens à la « pacification » du peuple palestinien et à la marginalisation du leadership intérieur. En 1996, Arafat était « intronisé » président de la Palestine après un spectacle électoral peu reluisant, et sur des assises pratiquement contrôlées par l’occupant.
Marwan adopta comme la majorité des Palestiniens une attitude pragmatique. L’idée que le micro-espace politique récupéré par les Palestiniens pourrait servir de tremplin pour relancer la lutte et créer une sorte de fait accompli, était répandue.
Mais le gouvernement israélien, sous la gouverne des travaillistes Rabin et Pérez, n’avait pas l’intention de permettre aux Palestiniens d’aller plus loin. L’intention était d’imposer à la population des territoires une bantoustanisation de la Cisjordanie et de Gaza, sous la forme de petits territoires déconnectés et gérés partiellement par l’Autorité palestinienne. Sous les travaillistes, la colonisation des territoires s’est accélérée. Après l’assassinat de Rabin, cette politique a été aggravée par le nouveau gouvernement du Likoud. Rétroactivement, il faut constater qu’Oslo a été une cooptation de la direction palestinienne et son enfermement dans une voie étroite de gestion de l’occupation. Les argents, minimes, confiés aux Palestiniens, servirent davantage à enrichir un minuscule groupe autour d’Arafat, qu’à construire l’État.
La « libération » devenait un cauchemar : effondrement de l’économie palestinienne, enfermement dans les territoires, encerclement et isolement de Jérusalem Est. Hamas recommença les opérations militaires contre les soldats et les colons, mais aussi les attentats-suicide contre les civils israéliens. En Cisjordanie, une grande partie du Fatah et la gauche firent dissidence. Marwan Barghouti devint le leader du Fatah dans la région et à plusieurs reprises, ne se gêna pas pour critiquer le vieux leader.
En 2001, la situation était à nouveau explosive. En septembre, Ariel Sharon provoquait les Palestiniens dans l’enceinte symbolique de la Mosquée Al-Aqsa. Rapidement, la population prit la rue. Arafat laissa une partie de son appareil militaire s’engager dans des affrontements autant futiles que violents.
Le mauvais tournant
Devant cette deuxième Intifada militarisée, le mouvement national palestinien s’est trouvé vis-à-vis de nouveaux dilemmes. Certes face aux ravages de l’occupation, beaucoup de gens étaient prêts à se battre. Mais beaucoup pensaient aussi que l’affrontement armé allait tourner au désavantage des Palestiniens et malheureusement, cela a été le cas. Une partie du Fatah s’engouffra dans cette spirale de violence. Quelques voix isolées, dont celle de Marwan, s’exprimèrent contre cette évolution, en rappelant les succès de la première Intifada, qui avait réussi, sans armes, à placer l’occupant dans l’embarras.
Le gouvernement d’Ariel Sharon était plus que réjoui de mener le combat sur le terrain militaire, à cause de la supériorité incontestable de l’armée israélienne, et du fait que le terrorisme palestinien discréditait la cause. Sharon a réussi à renverser la situation en sa faveur.
En 2002, plusieurs leaders palestiniens ont été éliminés ou emprisonnés, dont Marwan. Capturé en toute illégalité par l’armée israélienne, il a été détenu en secret, puis formellement accusé d’avoir fomenté le terrorisme. Pour les Palestiniens de Cisjordanie, l’insulte s’ajoutait à l’injure, Marwan étant pratiquement le seul leader du Fatah à s’opposer au terrorisme et à la militarisation exacerbée. Le mouvement palestinien est acculé le dos au mur. Le Fatah a éclaté en plusieurs tendances qui souvent échappent à Arafat, notamment les Brigades Al-Aqsa. Chaque incursion militaire et chaque tuerie d’enfants palestiniens produit de nombreux aspirants martyres.
Après un procès bidon, Marwan vient d’être condamné par un tribunal israélien. Devant la presse et dans un parfait hébreu, Marwan a déclaré que la résistance contre l’occupation était légitime et qu’elle allait continuer, mais qu’il demeurait contre les attentats-suicide. Pour la population des territoires occupés, il reste un symbole fort de la résistance. Dans les confrontations à venir, il jouera probablement un grand rôle, en prison ou pas. À 43 ans, Marwan a beaucoup de temps devant lui. Le temps joue pour les Palestiniens, qui ne capituleront jamais, et préparent déjà les tempêtes à venir.