L’inquiétante renaissance de l’OMC

lundi 16 décembre 2013, par Claude Vaillancourt

Réunie à Bali pour une première grande ministérielle depuis des lustres, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a réussi à faire avancer son agenda, aux dépens des populations de toute la planète. Sortant d’un long sommeil qui ne dérangeait personne, bien au contraire, la voilà relancée et prête à nuire à nouveau, pour les seuls intérêts des grandes entreprises transnationales.

Cette rencontre a été marquée par une surprenante inflation verbale. Pendant les négociations, on annonçait ni plus ni moins que la fin de l’OMC. La vénérable organisation ne pourrait pas survivre, disait-on, à une nouvelle mésentente de ses membres. On culpabilisait, de manière préventive, tous ceux qui oseraient s’opposer au consensus recherché. On ramenait dans le rang tout pays mal disposé. Qui donc dans ce cas accepterait de porter sur ses épaules le poids d’un pareil échec ?

Pourtant, l’OMC aurait sans aucun doute survécu. Comme elle l’a fait depuis 2006, alors que le cycle de Doha a été bloqué. Elle a des accords à administrer, des tribunaux à entretenir, des fonctionnaires à maintenir en postes, des études, de beaux documents, de la propagande à diffuser. Pourtant, sa mort éventuelle n’aurait attristé personne. Son objectif de base de marchandiser le plus grand nombre de secteur possible de l’économie est, selon plusieurs, une vision plutôt cauchemardesque de l’avenir.

À Bali, après que l’accord ait été scellé, les déchirements tragiques ont laissé place à de la jubilation, tout aussi déraisonnée que l’alarmisme précédent. L’accord, qualifié d’« historique », créerait pas moins de 21 millions d’emplois (dont 18 millions dans les pays en développement), et son impact sur l’activité économique globale pourrait atteindre 960 milliards de dollars ! D’où viennent de pareils chiffres ? Sur quoi s’appuient ces folles prévisions ? Mystère…

Pourtant, ce qu’on connaît du libre-échange ne ressemble pas à ces statistiques jovialistes : croissances des inégalités, concurrence sauvage entre les travailleurs qui voient diminuer la qualité de leurs emplois, industrialisation de l’agriculture aux dépens des sociétés paysannes, dégradation de l’environnement, recul de la démocratie, etc. Comme quoi, on n’a toujours pas renoncé à nous faire passer des vessies pour des lanternes…

Tout n’est pas idyllique aux yeux de l’OMC, cependant. On nous a dit par exemple que ce qui a été négocié à Bali ne couvrait que 10% de ce qui était inclus dans le cycle de Doha. Mais ce maigre 10% suffit, hélas, à faire bien des ravages.

L’un des aspects les plus inquiétants de ces négociations concerne les avancées dans le secteur de l’agriculture. Le seul fait que l’agriculture ait été négociée est déjà une perte, alors qu’elle devrait en principe être exclue des accords commerciaux : un secteur aussi essentiel à la survie des gens ne devrait pas être soumis à la simple loi de l’offre et de la demande.

La rencontre de Bali a été marquée par une opposition entre l’Inde et les Etats-Unis. Pour l’Inde, il importait de bien protéger les populations pauvres en leur assurant une sécurité alimentaire. Pour y parvenir, il faut mettre en place des subventions agricoles ou des mesures compensatoires qui sont décriées à l’OMC. Les États-Unis ont réussi à obtenir de l’Inde une « clause de paix » qui ne protège que les politiques de sécurité alimentaire déjà existantes, et ne concerne que les cultures de base. Et en plus, seule l’Inde peut en profiter ! Finie donc, la solidarité entre les pays pauvres. Et tant pis pour les populations affamées. L’important n’est-il pas d’envoyer le plus grand nombre de produits, n’importe comment, partout dans le monde ?

À l’heure où nous devons nous préoccuper d’une destruction sans pareil de notre environnement, rien n’est plus anti-écologique que la vision de l’OMC de l’agriculture. Selon elle, il faut produire en grande quantité pour l’exportation, les produits doivent se déplacer sur des milliers de kilomètres pour permettre aux consommateurs d’économiser quelques sous (et à des très grands producteurs de faire fortune), et des récoltes entières doivent être sacrifiées si elles ne sont pas assez compétitives. Il faut produire vite, à bas coût, sans se préoccuper des conséquences sur les populations. La misère humaine et les atteintes à la nature ne comptent pas devant de gros profits qui s’accumulent.

L’OMC continuera à sévir. Et pas seulement en agriculture. Des pays, qui se regroupent sous le nom des Vrais bons amis des services (ce n’est pas une blague !), dont le Canada, envisagent une grande libéralisation des services : santé, éducation, transports, etc., tout cela de plus en plus ouvert à l’entreprise privée.

Certains prétendent que les négociations sur le mode multilatéral à l’OMC valent mieux que les accords bilatéraux qui sont négociés un peu partout. Il s’agit tout simplement de deux chemins qui mènent exactement au même endroit. Notre devoir de citoyens et de citoyennes, c’est de poser de solides barrières sur ces deux chemins.

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