Culture

L’injustice dans la mire d’un photographe

jeudi 28 septembre 2006, par Ariane LAFRENIÈRE

Debout devant des photos grandeur réelle qu’il présentera dans quelques jours, Darren Ell observe les portraits qu’il a pris. Ces images imposantes, donnant l’impression de grandes lanières, des tranches de vie, respirent la force et le courage, mais les personnes qui y sont photographiées vivent des situations qui les rendent si fragiles. En effet, dans sa nouvelle exposition, Between States, le photographe militant a décidé d’aborder un thème qui lui paraît essentiel : les immigrants sans statut.

Il souhaite ainsi soulever le débat au sujet des législations qui régissent l’immigration canadienne. Nombre des immigrants sans statut qu’il a rencontrés risquent la déportation dans des pays hostiles. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs déjà subi l’emprisonnement et la torture dans leurs pays d’origine. Bien souvent, ces réfugiés doivent se débrouiller pratiquement seuls pour régler les questions d’ordre administratif et défendre leur cas devant les autorités canadiennes.

Darren Ell a sillonné le Canada pendant un an à la recherche de personnes prêtes à raconter leur histoire. Solidarité sans frontières, un organisme qui lutte pour la justice et la dignité des personnes sans statut, a appuyé sa démarche et l’a même aidé à rencontrer des réfugiés. « Pour cette exposition, j’ai vraiment essayé de travailler avec des organisations et des réfugiés qui sont impliqués dans la lutte », explique Darren Ell.

Les témoignages qu’il a recueillis lui ont permis d’écrire un court texte biographique qui accompagnera chaque image. En tant que photographe engagé, il considère essentiel de bien indiquer dans quel contexte le cliché a été pris. Selon lui, « c’est primordial, parce que n’importe quelle photo peut être interprétée de manière différente. [...] Si tu montres une photo d’une personne qui souffre, il faut expliquer pourquoi elle souffre, avec toutes les informations disponibles. C’est vraiment important. » L’organisme Solidarité sans frontières affirme qu’environ 200 000 immigrants vivent et travaillent au Canada sans aucun statut. Une situation incompréhensible et déplorable, croit Darren Ell.

Pour mettre en contexte les photographies de l’exposition, une conférence sur l’immigration au Canada se tiendra avant le vernissage. Plusieurs personnes viendront témoigner de leur expérience, dont Sophie Harkat, la conjointe de Mohammed Harkat. Cet homme d’origine algérienne a été emprisonné pendant quatre ans à la suite de l’émission d’un certificat de sécurité. La galerie Dazibao accueillera, du 12 octobre au 11 novembre, les portraits de M.Harkat et des autres immigrants sans statut pris par Darren Ell.

Depuis de nombreuses années, le photographe milite pour différentes causes. « C’est une certaine notion de justice qui me pousse à faire ce travail-là [...] Je ne peux pas nier qu’il y a aussi une certaine colère qui m’a motivé », affirme-t-il. Ses voyages au Mexique et en Palestine ont énormément influencé son travail, à Haïti également, qui se trouve encore dans la mire du photographe : « En deux ans, à Port-au-Prince, huit mille personnes ont été tuées. [...] C’est incroyable. Donc, mon prochain projet est sur les prisonniers politiques à Haïti, des prisonniers qui vont parler. »

Darren Ell abhorre le sensationnalisme présent dans la majorité des médias, même s’il reconnaît qu’il est parfois important de diffuser des images choquantes pour faire réagir la population. Toutefois, il essaye d’éviter le spectaculaire et ancre son travail dans un discours engagé. « Je veux aller dans les endroits où je peux avoir un impact, où il y a une communauté qui peut changer les choses », dit-t-il. C’est pourquoi il choisit des sujets touchant des pays où les organismes non gouvernementaux canadiens et les médias sont particulièrement présents. Il souhaite ainsi donner à ses photographies plus qu’une vie éphémère dans un journal quotidien. Il désire qu’elles aient un impact durable sur la réalité.

Malgré les projets qui l’attendent aux quatre coins du monde, Darren Ell aime pratiquer le métier de photographe à Montréal. Il croit que le photojournalisme local représente également de nombreux défis. « Ça permet de voir l’extraordinaire dans l’ordinaire [...] Parfois, je m’assois avec quelqu’un qui me raconte son histoire et qui commence à pleurer. Il y a tellement de drames qui se passent à côté de nous qu’on ne devine pas. » Conséquence de la méfiance des uns envers les autres ou tout simplement par égocentrisme, ce manque d’intérêt pour notre prochain marque notre société. Avec ses images saisissantes et les causes qu’il défend, Darren Ell montre pourquoi il importe de s’intéresser à l’existence des êtres humains.

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