L’humour au poing – Rencontre avec les Zapartistes

dimanche 1er avril 2012, par Kevin Gravier

« Le jab est à gauche, le punch est à droite. La droite est plus aiguisée... » L’humour selon les Zapartistes, ce sont feintes d’esprit et uppercuts verbaux qui, depuis plus de dix ans, se jouent de la politique, et de son flanc droit en particulier.

Nadine Vincent, Christian Vanasse, François Patenaude, Brigitte Poupart, Vincent Bolduc et Jean-François Nadeau sont humoristes. Leur nom de scène est une contraction de l’Aparté, café montréalais où le groupe a vu le jour en 2001, et de Emiliano Zapata, leader révolutionnaire mexicain. Un lien de filiation qu’ils assument sans complexes. Et pour cause !

Ayant à cœur de « décoder publiquement [la] boulechite [des puissants] », les « Zaps » traquent sans relâche le mensonge et la crédulité. Se livrant chaque année à une relecture satirique de l’actualité, grâce à leur rendez-vous majeur du temps des fêtes – le ZAP –, ils n’hésitent pas non plus à occuper d’autres fronts.
En novembre dernier, ils animaient le Square Victoria avec un spectacle de soutien aux indignés de Montréal. Le 17 mars, ils étaient à l’Astral pour manifester leur appui à la grogne étudiante. Le 26 avril au Club Soda, ils participeront à une soirée-bénéfice pour l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Ils sont également les porte-parole de nombreuses causes, dont le mouvement indignez-vous.ca d’Alternatives.

Presqu’au complet réunis, ces humoristes de terrain nous parlent de leur implication.

Des militants humoristes, et non l’inverse

« À l’origine, on était des militants impliqués dans différents mouvements, différents groupes. Et comiques en privé, avec les amis. [Puis] on a essayé d’amener de l’humour dans le militantisme. », raconte François Patenaude. Pour Nadine Vincent, la plume du groupe, il s’agit d’une stratégie de communication : « L’humour permet de rendre un sujet plus accessible. Si on est sur le ton sérieux ou enragé, les gens se ferment et ne reçoivent plus. »

Militants à la parole légère, les Zapartistes sont avant tout une « chaire d’observation », comme le fait remarquer Jean-François Nadeau. Pour lui, la qualité d’un artiste est d’assumer un rôle de vigie de la conscience collective. Il n’est alors pas seulement question d’observer, « tout le monde est capable de faire ça » ; il faut surtout capter l’essentiel de ce que l’on voit pour le transmettre autour de soi.

Toutefois, les Zaps ne sont pas uniquement des commentateurs de la vie politique : ils en sont aussi des acteurs à part entière. Christian Vanasse le confirme : « Être sur une scène puis parler, c’est un acte politique. » Et ce d’autant plus, pour Jean-François Nadeau, que la troupe jouit d’une « indépendance éditoriale » qui lui permet d’avoir « une liberté d’expression, [...] un tranchant qu’on ne voit pas souvent. »

Acteurs, ils le sont et le restent également hors de la scène. Nadine Vincent l’avoue volontiers : « Si on ne faisait pas d’humour, on ferait de la politique quand même. Alors que si on ne faisait pas de politique, on ne ferait pas d’humour. » Pour eux, l’humour n’est pas une fin, mais plutôt un moyen parmi d’autres.

François Patenaude précise d’ailleurs leur manière d’être humoristes : « Il y a des gens, [venus] voir un spectacle d’humour, qui sont surpris par la présence du politique [...] C’est là qu’on va pouvoir avoir une influence et essayer de semer quelques idées... » Politiser en douceur ce public moins informé, le rendre capable de déchiffrer les nouvelles, constitue une bonne part de la mission que ce sont donné les Zapartistes. Quant à leur auditoire plus engagé, ils encouragent son esprit critique et avivent la force de ses convictions.

Dans tous les cas, ils s’efforcent de respecter le pacte qui les lie : « on a tous embarqué là-dedans pour changer le monde. » Et ils croient y parvenir par le rire.

Le rire comme levier du changement

« Les sujets qui nous mettent en tabarnak, on essaie [...] de les rendre drôles. » Vincent Bolduc rappelle ainsi que les Zaps puisent leur humour à la source-même de leur militantisme. La raison première de ce choix d’inspiration est thérapeutique. « Trouver le chemin pour en rire, ça apaise. » Mais lorsque le rire détend les mâchoires crispées, il ouvre aussi la voie à la réalisation de leur engagement.

« Quand tu as [...] 600-800 personnes qui rient en même temps de quelqu’un ou d’un élément, ça fait une énergie particulière dans la salle. » Ce que Nadine Vincent évoque, c’est bien plus qu’une thérapie de groupe : c’est une prise de conscience, ce préalable nécessaire au changement.

Pour toute la troupe, il importe que ce déclic soit collectif. « Le nombre dit quelque chose », souffle Jean-François Nadeau en faisant référence à ce sentiment rassurant qu’il échange avec le public et qui lui rappelle ce que l’on peut ressentir lors d’une manifestation dans les rues de la ville. Cette primauté du pluriel sur le singulier est inscrite dans les gènes des Zapartistes. « Le nous est important dans [notre] oeuvre, dans [notre] histoire. Cette espèce de voix collective-là, qui se met en scène puis les gens la partagent. Cris ! On sort de l’individuel. On se connecte ensemble. [...] C’est l’fun ! », commente Christian Vanasse.

Ce dernier reconnaît cependant que chacun doit faire un travail de découverte personnel pour s’ouvrir aux autres ; un processus que l’humour favorise. « Quand les gens disent : il y a de l’humour intelligent et de l’humour pas intelligent, c’est pas vrai. Tout humour est intelligent parce que pour rire, il faut que t’aies compris deux éléments, puis que t’aies vu l’absurdité entre les deux. […] Quand les personnes font ce propre chemin là, c’est plus efficace que quand quelqu’un les moralise. Parce qu’ils s’approprient […] et content la joke à d’autres. »

Et de conclure : « L’humour, c’est une prise de pouvoir par les gens. »

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Crédits Illustration : Kevin Gravier

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