Forum social mondial de Nairobi

L’heure des bilans

vendredi 2 février 2007, par François L’ÉCUYER

La septième édition du Forum social mondial n’avait pas encore pris fin que les critiques se multipliaient à l’endroit de son comité organisateur. En plus des défaillances logistiques rencontrées, le mouvement altermondialiste serait en perte de vitesse, ont relayé les agences de presse. Vraiment ? L’heure est aux bilans.

« Cassons le mythe que l’Afrique est mal organisée », affirme d’entrée de jeu Jacques Létourneau à son retour du Kenya. Pour l’adjoint à l’exécutif aux affaires internationales de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), qui en était à sa troisième participation au FSM, le succès de l’événement ne fait aucun doute. « C’était impressionnant au plan organisationnel, c’était très bien organisé », souligne-t-il.

« Il y a eu un forum social en Afrique ! Juste pour ça, je suis impressionné », renchérit Michel Lambert, directeur des programmes à l’ONG Alternatives. « Il y a bien eu quelques crises ici et là au cours des premières 24 heures, mais tout s’est replacé rapidement. Il n’y avait pourtant pas grand monde qui croyait l’événement possible... »

À 57 000, le nombre de participants n’a pas atteint les records de Mumbai ou de Porto Alegre. Il n’en fallait pas plus pour que les médias en concluent que le mouvement altermondialiste « s’essouffle ». Le fait que la plupart des participants d’Afrique de l’Ouest aient dû transiter par l’Europe pour se rendre à Nairobi ne semble pas avoir été pris en compte.

Un Forum des riches ?

Quelques incidents ont pris beaucoup de place dans la couverture médiatique de ce septième Forum social. D’abord, le coût d’entrée (10 $) imposé aux Kenyans, jugé « prohibitif » par certains. Les manifestations spontanées ont rapidement forcé le comité organisateur à revenir sur sa décision et à ouvrir toutes grandes les portes du FSM à la population.

« S’il y a une chose qu’on ne peut reprocher au comité organisateur, c’est bien d’avoir exclu du monde !, estime Michel Lambert. Les organisations kenyanes étaient partout. Ce qui s’est passé est un peu colonialiste : des Européens ont vu que quelques personnes ne pouvaient pas entrer, faute d’argent. Ils ont tout de suite conclu à la mauvaise gestion du comité organisateur. Et lorsque, une fois les portes ouvertes, le Stade Kasarani [où avait lieu le Forum, NDLR] a été envahi par tous les commerçants de Nairobi, ces mêmes personnes ont crié à la « marchandisation du forum social »... »

« Les critiques formulées - autour des problèmes du système de traduction ou des difficultés du transport, par exemple - venaient de personnes qui découvraient l’Afrique pour la première fois, poursuit M. Lambert. Comme si, quand on branche un ordinateur en Afrique, ça devait toujours fonctionner du premier coup ! Les Occidentaux regardaient ça de très haut, et blâmaient rapidement le comité kenyan ».

Convergences

Le mouvement syndical ressort très emballé de ce forum social. « Pour la première fois, le forum syndical n’a pas été tenu en parallèle au forum social », explique Jacques Létourneau. « Son inclusion dans le FSM signifie un réel rapprochement. Peut-être que le mouvement altermondialiste hésitait à inclure les questions du travail dans leur lutte au néolibéralisme. On note une bonne ouverture de ce côté. »

Les organisations syndicales ont profité du FSM pour lancer une campagne internationale en lutte contre la précarité au travail. Sur le thème du « travail décent », l’initiative vise des retombées nationales concrètes pour les travailleurs. « Quand on en arrive à nous demander de couper nos salaires pour être compétitifs avec la Chine, on trouve nécessaire de solidifier nos réseaux internationaux, souligne M. Létourneau. Il faut à tout prix éviter de niveler par le bas nos conditions de travail ».

Les enjeux reliés à la militarisation, à l’enlisement des troupes américaines en Irak et à l’offensive israélienne au Liban l’été dernier ont été chaudement débattus à Nairobi. « Les deux activités organisées par Alternatives sur le thème de la guerre globale ont connu un réel succès, avec près de 500 personnes à chaque atelier, se réjouit Michel Lambert. Et nous n’étions pas les seuls : beaucoup d’organisations ont tenu des activités similaires. Les liens créés sont nombreux, et plusieurs initiatives internationales seront mises de l’avant en 2007 ». Selon lui, il était aussi très enrichissant que plusieurs ateliers aient porté plus spécifiquement sur les nombreux conflits armés qui sévissent en Afrique.

Perte de vitesse ?

Il n’y aura pas de Forum social mondial en 2008. Un signe de l’échec de Nairobi et de la perte de vitesse du mouvement altermondialiste, comme plusieurs médias l’ont souligné ? « C’est ridicule, la décision a été prise par le comité international de coordination il y a plus d’un an, affirme M. Lambert. L’objectif est de mettre l’accent sur les processus nationaux et les forums thématiques. »

Plusieurs estiment en effet nécessaire de repenser le mode de fonctionnement du FSM. Michel Lambert est de cet avis. Selon lui, l’omniprésence des Églises à ce dernier FSM (plus de 4000 Églises étaient représentées) témoigne d’un réel problème. « Il y a même eu une manifestation provie ! Il faut savoir ce que l’on défend et ne pas accepter n’importe quoi ».

Jacques Létourneau abonde dans le même sens. « Il faut que le FSM se redéfinisse. Ça fait quelques années qu’on trouve que c’est un peu confus. L’idée n’est pas de revenir au modèle programmatique, monolithique... La multitude, c’est bien - mais ce n’est pas n’importe quoi non plus ! Il faut une certaine convergence dans les actions des mouvements sociaux ». Le défi sera d’autant plus grand pour les organisations progressistes du Québec, occupées à planifier le premier Forum social québécois en août prochain, ajoute le militant syndical.

La venue du Forum social mondial au Kenya aura sans aucun doute eu un impact majeur sur le mouvement social kenyan. « Des membres du comité organisateur nous expliquaient que pour la première fois, des associations de gais et lesbiennes ont donné une conférence de presse publique, relate M. Lambert. Sur un continent où l’homosexualité demeure totalement taboue, jamais ces militants n’avaient osé s’afficher publiquement. L’arrivée du mouvement altermondialiste les a motivés ».

« Mais il y a une limite à vouloir mesurer, là, immédiatement, les impacts du Forum social de Nairobi, poursuit Michel Lambert. Les retombées ne peuvent être analysés que sur le long terme. Il faut donner du temps au temps afin d’évaluer ça intelligemment. En fait, il faudrait un deuxième FSM en Afrique. En 2001 au premier forum social, ils étaient 15 000 personnes à Porto Alegre. En 2005, plus de 125 000 ! Entre les deux, il s’en est passé des choses en Amérique latine... En fait, la moitié des pays ont basculé à gauche ! »


Pendant ce temps, à Davos...

La tradition continue. Pendant que les mouvements sociaux se retrouvaient au Forum social mondial, le gratin de la finance et de la politique se donnait rendez-vous sur les pentes de ski de Davos, en Suisse, pour le Forum économique mondial. Dire qu’on y refait le monde apparaît comme un bien grand mot. La plupart du temps, les prestigieux invités essaient surtout de maintenir l’ordre établi.

Cette année, par exemple, le Forum se penchait sur les 23 principaux risques qui guetteraient l’économie mondiale. Terrorisme, changement climatique, pénurie d’eau, prolifération nucléaire, la liste des soucis avait de quoi impressionner. On oubliait presque que l’Allemand Klaus Schwab avait donné naissance à l’événement de manière fort modeste, en 1971, pour enseigner les méthodes de gestion américaines à une poignée de P.-D.G. européens.

Trente-cinq ans plus tard, le forum Davos est devenu une sorte de Who’s Who du capitalisme mondial, qui n’est pas à la portée du premier venu. D’abord, il en coûte au moins 30 000 $ à une entreprise pour devenir membre du Forum. Ensuite, l’inscription elle-même coûte au bas mot 18 000 $. Et vous aurez deviné que cela n’inclut pas la limousine, la suite royale pour éblouir les invités et les petits-fours qui ne doivent surtout pas faire trop « people ».

Bref, comme l’a expliqué le cadre d’une importante multinationale au International Herald Tribune, la participation d’un haut dirigeant d’entreprise au Forum économique mondial de Davos coûte « largement au-dessus des sept chiffres ».

Juste au cas où des indésirables auraient quand même tenté de s’inviter en douce, environ 5 000 soldats suisses étaient sur le pied de guerre autour de la petite station de ski. Sans compter que le trafic aérien avait été sévèrement restreint dans un périmètre de 46 kilomètres autour des lieux de réunion. De quoi assurer un peu de tranquillité.

Hélas. Rien n’est parfait. Ces dernières années, plusieurs barons de l’économie mondiale ont ainsi déploré le nombre de plus en plus élevé de politiciens qui interviennent durant le Forum.
C’est vrai, quoi. Même plus moyens de se retrouver en paix, entre maîtres du monde.

Jean-Simon Gagné

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