L’éducation, l’arme de l’Afrique

jeudi 1er mars 2012, par Marie-Anne Dayé

Une révolution est possible en Afrique subsaharienne, mais pas tout de suite selon le célèbre reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly. Quelques jours avant son passage au Canada dans le cadre de l’African Revolution Tour, l’artiste explique dans une entrevue au Journal des Alternatives (JDA) que sans éducation, il ne peut y avoir de changement majeur.

Tiken Jah Fakoly ne fait pas de censure et n’a pas peur de dire le fond de sa pensée malgré son exil de la Côte d’ivoire de 2002 à 2007. Il dénonce l’exploitation abusive des ressources dans le continent africain par les Occidentaux, le despotisme des dirigeants et défend le droit à la démocratie et à l’éducation. Dans son dernier album African Revolution, il poursuit son discours engagé et tente d’éveiller les consciences. Son discours ne laisse pas les foules indifférentes.

JDA : Le printemps arabe a-t-il donné espoir aux peuples de l’Afrique noire ? Pensez-vous qu’une révolution serait possible maintenant dans les pays de l’Afrique subsaharienne ?

Tiken Jah Fakoly (TJF) : Oui, bien sûr que le printemps arabe a inspiré l’Afrique noire. Je pense qu’il est survenu parce que le niveau d’éducation est plus élevé dans le Maghreb que dans l’Afrique noire. C’est pourquoi les révolutions ont commencé là-bas. Mais nous avons eu la preuve que les révolutions sont encore possibles, que le peuple est encore capable de dire non.

JDA : Une révolution dans les pays de l’Afrique subsaharienne serait donc envisageable ?

TJF : C’est sûr que l’Afrique noire doit faire sa révolution tôt ou tard, mais à mon avis ça se passera dans dix ou quinze ans, lorsque le niveau d’éducation sera plus élevé, parce que nous avons beaucoup d’analphabètes.

On pensait que le monde s’était tellement matérialisé que chacun ne pensait qu’à lui et que les masses ne pouvaient pas agir. Toutefois, je pense que ce qui s’est produit en Tunisie et en Égypte prouve qu’il y a de l’espoir, que tôt ou tard l’Afrique fera sa révolution parce que personne ne viendra changer la condition des Africains à leur place. Ce sont eux qui subissent les difficultés, donc s’ils ne sont pas d’accord avec ce qui se passe, c’est à eux de s’exprimer.

JDA : Vous affirmez que l’éducation est l’arme de l’Afrique. Sur qui faudrait-il mettre la pression pour encourager l’éducation ?

TJF : Sur les dirigeants pour qu’ils s’intéressent de plus en plus à l’éducation, car l’éducation est à la base du développement et c’est elle qui va changer le continent africain. Puis si chacun se mobilise à son niveau pour apporter sa contribution, ça peut faire avancer les choses.

Parallèlement, j’essaie d’apporter ma petite contribution en faisant des concerts pour construire des écoles. Mon premier objectif est vraiment de montrer l’importance de l’école à la jeunesse, leur dire que c’est l’école qui va changer l’Afrique.

JDA : Un soulèvement populaire pourrait-il faire céder les dirigeants politiques et amener des changements concrets ?

TJF : Le peuple est la première victime de la manière dont les choses sont faites en ce moment en Afrique et il n’y a que lui qui peut changer ça. Je pense que le plus important pour nous au stade où l’on est aujourd’hui, c’est la démocratisation, c’est-à-dire qu’il faut que le peuple arrive à s’exprimer à travers les urnes. Il y a déjà eu des soulèvements en Guinée Conakry, en Côte d’Ivoire et ailleurs qui ont fait beaucoup de victimes. Si l’on arrive déjà à avoir une vraie démocratie chez nous et que le peuple prend conscience qu’à travers les urnes, il peut changer les choses, nous pourrons faire moins de victimes et faire des changements.

JDA : Quel est le rôle de la diaspora africaine ?

TJF : Quand je rencontre des Africains, je leur dis qu’ils ont un rôle important à jouer, que lorsqu’ils vont au pays, ils doivent expliquer à la jeunesse que rien ne tombera du ciel.

Eux, ils ont vécu ailleurs. Ils ont vu comment les gens se battent. Ils devraient conseiller les jeunes quand ils vont en vacances. Il ne faut pas seulement y aller pour danser ! Il faut en profiter pour discuter un peu avec ces jeunes. Pas forcément faire de la politique, mais au moins partager leur expérience. Ils doivent essayer de réveiller la jeunesse, qui a toutes les capacités, mais qui a besoin qu’on lui parle.

Par exemple, si ces jeunes voulaient venir au Canada, aux États-Unis ou en France, je leur dirais : « mais tu as tout en Afrique ! La nature a tout donné à ce continent ! » S’ils partent tous du continent, qui va venir changer les choses à leur place ?

Le conseil que je leur donnerais, c’est de rester sur place. C’est vrai qu’il y a des difficultés, mais c’est ensemble qu’on peut pousser nos dirigeants à créer des emplois. La diaspora doit jouer le même rôle.

JDA : Les luttes interreligieuses peuvent-elles être un frein à la formation d’une Afrique unie ?

TJF : Non, je ne pense pas parce que les différentes religions ont toujours coexisté en Afrique. À part qu’aujourd’hui, le Nigeria pose vraiment un problème, ce qui nous étonne d’ailleurs en tant qu’Africains. Je ne comprends pas comment cette partie de l’Afrique peut se battre comme ça entre frères ! Je ne pense pas que les religions vont bloquer l’évolution des choses en Afrique ou l’unité du continent, c’est simplement un problème d’éducation.

Lorsque la majorité des Africains saura lire et écrire, on se rendra compte qu’on a les mêmes problèmes et qu’il faut chercher les mêmes solutions. Ça ne sert à rien de s’entretuer à l’intérieur des pays, ni entre les pays. Il faut simplement qu’on se mette ensemble et qu’on parle d’une seule voix, donc former une seule force politique et économique. L’Afrique est l’un des continents les plus riches, mais le paradoxe c’est que la population est la plus pauvre. Je pense que lorsque la majorité sera alphabétisée, on va poser des questions et exiger des réponses, parce que ce n’est pas normal ce qui se passe.

JDA : La coopération internationale peut-elle avoir un impact réel sur le plan de l’éducation, du développement ?

TJF : On ne doit rien attendre de la coopération avec les pays Occidentaux : tout le monde se bat pour son intérêt. C’est donc à nous de comprendre qu’on ne doit rien attendre d’eux et que tout doit venir du continent africain. Il faut une volonté politique au sommet des États et que l’éducation soit encouragée. Quand on regarde l’histoire des autres pays qu’on envie aujourd’hui, par exemple le Canada, les États-Unis, les pays d’Europe, on constate qu’ils ont évolué, car l’accent a été mis sur l’éducation. À partir du moment où les peuples se sont réveillés, ils ont commencé à exiger que les dirigeants respectent leurs attentes. En tant que Tiken Jah Fakoly, je n’attends pas forcément quelque chose de la coopération par rapport à l’éducation.

JDA : Dans les dernières années, avez-vous remarqué des changements sur le plan de l’éveil des consciences ?

TJF : Ça commence ! Il y a 25 ans, aucun président africain n’aurait organisé des élections sans les gagner. Aujourd’hui, on a des chefs d’État qui organisent des élections et qui les perdent. Ça veut donc dire que les mentalités commencent à changer.

Au Sénégal, les gens sont sortis, se sont exprimés. On ira d’évolution en évolution parce que les générations d’aujourd’hui ne veulent plus accepter ce qu’on a fait à leurs parents et c’est une bonne chose.

JDA : Les Africains se sentent-ils concernés par le message que vous envoyez ? Pensez-vous que vous donnez de l’espoir aux gens ?

TJF : Quand on se promène dans les capitales africaines, on sent que notre travail est positif parce qu’il contribue à l’éveil des consciences. Les gens nous disent qu’ils apprécient ce que l’on fait et que le message véhiculé par notre musique est bon. Notre travail est reconnu par la jeunesse africaine et ça nous réconforte. De toute façon, nous faisons du reggae et notre rôle c’est d’éveiller les consciences, d’éduquer et d’informer.

JDA : À quand votre prochain album ?

TJF : Le nouvel album sera pour 2013, mais là, je sors un single en Afrique qui s’appelle Alerte. Il y aura deux titres : Alerte et La porte de l’histoire. C’est pour m’exprimer et surtout pour demander aux Africains d’être fiers de leurs origines.

JDA : Vous avez participé au documentaire Une révolution africaine de Samir Benchikh. De quoi parle-t-il ?

TJF : C’est un documentaire sur la jeunesse africaine. Moi, je m’exprime en tant qu’artiste. Il y a une jeune fille qui s’exprime en tant que présidente du parlement des enfants et il y a des jeunes gens qui se mobilisent pour défendre les droits de l’Homme, qui vont voir les prisonniers en attente d’être jugés. Donc, ça tourne autour de plusieurs sujets. En résumé, le documentaire dit que l’Afrique bouge quoi !

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Pour visionner la bande-annonce du documentaire Une révolution africaine : http://www.unerevolutionafricaine.com/synopsis.html

Crédit photo : Mathieu Savard

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