La crise économique et financière qui sévit depuis l’automne 2008 a marqué un tournant dans l’évolution du néolibéralisme. Pour la première fois depuis son ascendance dans les années ‘80 du siècle dernier, celui-ci entre dans une phase de grave instabilité économique, non seulement dans ses régions périphériques comme vers la fin des années ‘90, mais fait nouveau, l’instabilité économique touche le centre géographique du système. Son centre névralgique, le système financier - Wall Street, les grandes places financières d’Europe, les grandes banques - est fragilisé. L’inquiétude sur la solidité des grandes banques persiste malgré les sommes faramineuses englouties depuis 2008. Sans parler de la crainte de l’effondrement financier, non pas de pays marginaux, mais des pays fondateurs de l’Union Européenne comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal. À cette crise économique s’ajoute une très grave crise idéologique. Les vertus supposées du marché, de l’entreprise privée, des profits illimitées, de la dérégulation, des coupes sombres dans les dispositifs de protection sociale, s’effondrent face à l’immense gâchis environnemental et social légué par trente ans de spéculation financière effrénée. Les trillions engagés dans le sauvetage des banques, en plus des sommes mirobolantes englouties dans la militarisation et les guerres incessantes, ont minées les paravents idéologiques du néolibéralisme.
Un nouveau cycle politique depuis 2008
L’éclatement de cette crise change les données pour les forces progressistes. Dans la phase précédente, affirmer la nécessité de lutter contre un système qui paraissait inébranlable, appuyer et participer aux luttes sociales, lancer qu’ « un autre monde est possible », était en soi une déclaration de guerre au système. Mais dans la phase actuelle, amorcée depuis l’automne 2008, le seul appel à la lutte ne suffit plus. Désormais, des questions de plus en plus insistantes portent sur la nature des réponses à la crise multidimensionnelle (économique, financière, sociale, écologique) qui nous afflige. Penser l’au-delà du néo-libéralisme n’est plus une vaine spéculation. La question qui se pose de plus en plus aux mouvements sociaux est la suivante : il faut sortir du néolibéralisme, mais pour aller où et faire quoi ?
En clair, affirmer qu’ « un autre monde est possible » ne suffit plus aujourd’hui. Les forces de changement se doivent aussi d’indiquer vers quel monde elles veulent aller. L’anti-néolibéralisme de cette deuxième décennie du 21è siècle doit intégrer la notion de dépassement du système, ou il perdra sa force propulsive, sa force de mobilisation sociale et politique.
La récente Conférence sur les Changements Climatiques tenue à Cochabamba reflète on ne peut plus clairement ce nouveau cycle politique. Désormais c’est le capitalisme qui est épinglé comme la cause profonde des crises économiques et écologique, le néolibéralisme étant défini comme sa manifestation contemporaine. Les fausses solutions à la crise, en gros le capitalisme vert et la régulation keynesienne, sont vilipendées. Les notions de dépassement du capitalisme ,de socialisme communautaire, d’écosocialisme, sont mises de l’avant sans hésitation et sans complexe. L’heure est aux forums sociaux qui débouchent sur la mobilisation et le changement social. Voilà la grande leçon de Cochabamba (1).
La perspective écosocialiste est essentielle pour les forces de transformation sociale
Il nous semble crucial d’affirmer qu’aujourd’hui la perspective écosocialiste est essentielle pour les forces de transformation sociale.
En effet comment répondre à l’urgence des changements climatiques et conjurer l’éco-catastrophe annoncée, si ce n’est en brisant la dépendance au pétrole ? Or, cette dépendance, comme le démontre si bien l’économiste écosocialiste Elmar Altvater (2), découle des besoins du capitalisme moderne en sources d’énergie relativement faciles d’accès, aisément transportables et générant des mega profits. Briser cet "impérialisme pétrolier" est inconcevable sans le dépassement du modèle capitaliste de développement et l’adoption de nouvelles institutions sociales et économiques permettant de bâtir une société écologique et juste.
Comment lutter contre les guerres d’agression et pour la justice globale si ce n’est qu’en démontrant que l’impérialisme moderne découle en droite ligne de la volonté des grands monopoles financiers, industriels et énergétiques d’exploiter et d’opprimer les peuples du monde ? Nationaliser et socialiser les secteurs stratégiques de l’économie (entre autres les banques et les grands groupes pétroliers), adopter une planification économique démocratique (l’autogestion), se sont là les seules façon d’éliminer les causes structurelles des inégalités et de la pauvreté.
Assumer une perspective écosocialiste en 2010 ne constitue pas une fuite en avant mais bien un besoin essentiel pour les forces pour le progrès social.
Notes
1. Voir "Cochabamba, un grand pas pour l’écosocialisme", par Roger Rashi,
Le journal des alternatives, 4 mai 2010.
Ainsi que "De Cochabamba à Cancun bätir un mouvement pour la justice climatique au Québec", par Roger Rashi, Le journal des alternatives, 15 juin 2010.
2. Voir “ The Social and Natural Environment of Fossil Capitalism”, par Elmar Altvater, dans “Coming to Terms with Nature”, sous la direction de Leo Panitch et Colin Leys, Merlin Press 2006, pgs 37 à 59.