Juin 2002, Bogota. La campagne électorale bat son plein. Le président sortant, Andres Pastrana, s’oppose à Alvaro Uribe, candidat libéral indépendant. C’est dans ce contexte d’effervescence politique que Catalina Villar débarque en Colombie, où Ingrid Betancour, alors candidate à l’élection présidentielle, a été enlevée quelques semaines après la fin du tournage.
« Avec le temps, on oublie comment cette guerre a commencé et il ne reste que les bombes, les attentats et la violence quotidienne, raconte Mme Villar, rejointe par téléphone à Paris où elle habite depuis une vingtaine d’années. J’ai voulu comprendre ce qu’il y a derrière ce conflit qui dure depuis plus de 35 ans. » La cinéaste n’en est pas à son premier film sur la Colombie. Les Cahiers de Medellin, long métrage réalisé en 1998, qui a raflé plusieurs prix, racontait la violence quotidienne qui règne dans cette petite ville, tombée aux mains des narcotrafiquants.
Un pays déchiré
De la situation en Colombie, on retient premièrement les statistiques alarmantes : 35 000 assassinats par an, 70 000 mines antipersonnel disséminées à travers le pays, un enlèvement toutes les dix minutes. Une population coincée entre les affrontements opposant la guérilla, les paramilitaires et les militaires. Une oligarchie qui s’accroche au pouvoir, et le trafic de la drogue qui s’intensifie.
Le discours du nouveau président Uribe, élu en juin 2002, inquiète profondément la cinéaste. « Avec Pastrana, il y avait au moins la sensation, grâce au dialogue de paix, que les choses pouvaient avancer. On a l’impression cette fois de toucher vraiment le fond. » Uribe n’a fait que « légitimer la présence des paramilitaires et des Nord-Américains en Colombie », affirme Catalina Villar. Ce dernier est en effet reconnu pour ses liens avec les groupes paramilitaires et bénéficie du soutien de l’administration Bush. Alors que les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) sont présentées par les médias comme étant « l’incarnation du mal », les paramilitaires sont responsables de 70 % des crimes commis en territoire colombien selon Amnistie internationale.
Uribe a été élu avec 53 % des voix, contre 52 % d’abstention. Ce qui fait dire à la cinéaste : « Lors des dernières élections, la vraie victoire a été celle de l’abstention. C’est la preuve que pour beaucoup de gens, les élections ne veulent pas dire grand-chose. En Colombie, la démocratie est une farce. »
Mascarade politique
Bienvenue en Colombie raconte d’abord la mise en scène de chaque candidat dans le grand théâtre de la politique colombienne. On y voit l’équipe du président, élaborant sa stratégie médiatique. Et l’implication des médias, qui jouent aussi un grand rôle dans cette mascarade, selon Mme Villar : « Les médias sont un acteur dans cette guerre au même titre que les FARC ou les paramilitaires. Ils conditionnent la pensée et poussent à la haine. »
Le ton du film repose cependant sur une note très personnelle : « Je me suis décidée à faire un récit à la première personne car je ne pouvais livrer que mes propres doutes, proposer ma vision des difficultés qui handicapent ce pays », confie la cinéaste. Personnage principal de son film, elle écoute et questionne lors de rencontres qui la mèneront aux quatre coins du pays.
Mais la cinéaste n’a pas voulu seulement dresser un portrait sombre d’un pays qui sombre dans le chaos, elle a aussi tenu à souligner des initiatives courageuses, porteuses d’espoir. Les Indiens Paeces de la région du Cauca, par exemple, ont pris des initiatives de paix et ont obtenu, sans utiliser d’armes, la libération d’otages détenus par les FARC. Alors que les autochtones n’avaient même pas le droit de vote, il y a 15 ans, c’est un gouverneur indien qui est maintenant à la tête du département du Cauca. « Les autochtones sont la preuve qu’il existe encore un espace de débats et d’initiatives progressistes, affirme Catalina Villar. Toute lutte quotidienne signifie quelque chose, et c’est ce que j’ai voulu démontrer. » Un film pour tenter de comprendre un conflit aux ramifications complexes, mais aussi un hommage à ceux qui risquent leur vie, chaque jour, pour défendre la dignité humaine.
Daphnée Dion-Viens