L’expression « logiciel libre » fait référence à la liberté, pour les utilisateurs, d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, et d’améliorer le logiciel. Si la gratuité accompagne la plupart du temps le mouvement du logiciel libre, elle n’en est cependant ni le cœur, ni le moteur. L’informatique libre, basée sur la liberté d’utilisation, sert avant tout un but éthique : en tant que savoir, elle devrait appartenir à tous.
Cette conception de l’informatique implique que chaque utilisateur peut avoir accès au code source du programme. Elle s’oppose ainsi aux logiciels « propriétaires », symbolisés par le géant Microsoft, dont l’usage est réservé aux seuls acheteurs du produit, et le code source, jalousement gardé secret. Plus que deux façons différentes de concevoir la programmation informatique, ce sont deux philosophies qui s’affrontent : d’un côté, celle du libre partage des connaissances et de leur mise en réseau, de l’autre, celle du contrôle du savoir.
En 1983, face à la marchandisation du savoir-logiciel, Richard Stallman, fondateur de la Free Software Foundation, s’attelle à construire un système informatique affranchi des systèmes propriétaires, le projet GNU, qui a joué un rôle déterminant dans la création de Linux en 1991. Le système d’exploitation GNU/Linux (l’équivalent d’un Windows, version libre) est ensuite rapidement disséminé sur Internet, bénéficiant de la collaboration bénévole d’informaticiens travaillant à son amélioration et au développement de nouveaux logiciels. On assiste alors à une pénétration des logiciels libres en dehors des cercles de programmeurs. Par exemple, le moteur de recherche Google, le service postal américain ainsi que l’administration publique brésilienne ont adopté différents types de systèmes libres.
Pendant ce temps, chez-nous
Au Québec, peu à peu, des groupes communautaires et des institutions se tournent vers les logiciels libres pour leurs nombreux avantages. En plus d’être présidente du Carrefour mondial de l’Internet citoyen, Sharon Hackett est agente au Centre de documentation sur l’éducation des adultes et la condition féminine (CEDEAF), où les serveurs sont en logiciel libre depuis le tout début. Intéressée d’abord par ce « modèle de développement communautaire », elle affirme que ces serveurs sont d’ailleurs « plus fiables » et que « les coûts sont plus raisonnables » que ceux basés sur des systèmes propriétaires.
Mais si le logiciel libre a fait ses preuves au niveau des serveurs, le passage de Windows à Linux sur les postes de travail individuels peut se révéler plutôt laborieux pour les utilisateurs. Hugo Gervais est formateur chez Communautique, une organisation qui a pour but de faciliter l’appropriation des nouvelles technologies par les groupes communautaires. « Oui, les valeurs véhiculées par le logiciel libre se rapprochent des valeurs du milieu communautaire. […] Mais l’utilisation du logiciel libre ne peut pas uniquement être basée sur des principes : il faut d’abord que ça marche ! » Il souligne d’ailleurs que l’informatique libre ne se résume pas uniquement à l’utilisation de Linux comme système d’exploitation, mais comprend aussi l’utilisation de logiciels libres dans un environnement Windows (avec OpenOffice, par exemple, l’équivalent « libre » de Microsoft Office) ou encore dans la conception de sites Internet (avec les logiciels SPIP, Drupal et autres). Après une étude sur le sujet menée l’an dernier, Communautique a aussi constaté le manque de support technique.
De leur côté, les groupes d’usagers Linux travaillent à développer des réseaux d’usagers, en offrant de la formation sur l’utilisation des logiciels libres. Une façon de surmonter les obstacles à l’utilisation du logiciel libre et de travailler « afin qu’il devienne la norme », rappelle Sharon Hackett.
Au niveau gouvernemental
Du côté du gouvernement provincial, l’utilisation de l’informatique libre se fait attendre. « C’est assez déprimant », confie Stéphane Couture, développeur Web et membre du groupe FACIL, pour l’appropriation collective de l’informatique libre. Parmi ses premières actions, FACIL s’est exprimé sur le projet de gouvernement en ligne tel qu’envisagé par le gouvernement du Québec, prônant les avantages socio-économiques du logiciel libre. De plus, selon Stéphane Couture, « le passage au logiciel libre constitue un véritable geste politique pour un gouvernement », assurant ses concitoyens que les fonds publics ne serviront pas à financer les outils informatiques, mais bien leur utilisation pour la communauté.
Pourtant, au gouvernement, on n’ignore ni l’existence ni les enjeux reliés à l’informatique libre, grâce aux travaux du professeur Daniel Pascot, de l’Université Laval. Dans son rapport de recherche Les logiciels libres pour le gouvernement du Québec, commandé par le Conseil du trésor, il conclut que le gouvernement a tout intérêt à franchir le pas vers l’informatique libre le plus tôt possible : les infrastructures et les compétences techniques sont présentes, les gains sociotechniques et financiers sont démontrés. « Le plus grand défi, croit-il lui aussi, est d’en faire la promotion et d’entamer le changement. »
Jean-François Bouchard, collaboration spéciale, et Daphnée Dion-Viens