Dans le film satirique Wag the dog, des experts en relations publiques inventent une guerre de toute pièce pour distraire l’attention du public d’un scandale de mœurs qui affecte le président des États-Unis.
Le gouvernement du Québec, lui, n’a pas à se défendre de scandales sexuels. Mais il est en chute libre dans les sondages. Il a trahi plusieurs de ses plus importantes promesses électorales. Il s’apprête à hausser les tarifs d’électricité, il a conservé la taxe santé, il a indexé les droits de scolarité. Son obsession pour le déficit zéro lui fait adopter d’impopulaires mesures d’austérité. Il pratique même une lamentable économie de bouts de chandelle en s’attaquant aux plus pauvres pour redresser notre situation financière.
Il faut alors un sujet bien chaud pour détourner l’attention. Non pas une guerre, bien sûr, nous ne sommes ni cinéma, ni aux États-Unis… Il s’agit tous simplement de prendre un problème quasiment inexistant, mais suscitant la controverse, et d’y précipiter la horde des médias réjouis qui y voient un os splendide à gruger. Rien de plus aisé que de déclencher un débat sans fin sur un sujet sensible, difficile à trancher et, si possible, ne concernant qu’une fange limitée de la population.
On lance alors un beau projet de Charte des valeurs québécoises, qui soulève la question des signes religieux. Les Québécois sont dans l’ensemble très tolérants envers ceux qui les portent, comme ils le sont pour tous les autres individus qui revêtent des tenues variées, y compris les plus extravagantes.
Mais le sujet des signes religieux avait fait ses preuves. Il avait même été brandi par le populiste Mario Dumont à la tête de l’ADQ, ce qui l’avait aidé à devenir chef de l’opposition officielle et à reléguer le PQ à une humiliante troisième place. Ce dernier a bien retenu la leçon, hélas.
Les employés de la fonction publique touchés par la charte formeraient à peine 2% de l’ensemble, selon Le Devoir, une infime portion de la société québécoise, une goutte d’eau dans l’océan. On aurait pu tout simplement les laisser en paix. D’autant plus que le principe de la laïcité des institutions fait plutôt l’unanimité. Un débat à sujet était peut-être nécessaire. Mais il aurait pu être lancé avec plus de modestie, de circonspection, de doigté.
L’affaire occupe aujourd’hui tant de place qu’elle en vient à cacher la forêt. Les médias noircissent des pages et des pages à ce sujet. Les syndicats et d’autres organisations concernées doivent pondre de prises de position. Les juristes examinent la légalité de la charte. Les conversations de tous sont happées par ce grand brouhaha — un sujet dont on n’avait cure la veille.
Pendant ce temps, on parle moins de déficit zéro, on évite d’aborder la hausse des tarifs d’électricité, on ne dénonce plus les mesures d’austérité. Le PQ a-t-il alors misé juste et obtenu ce qu’il voulait, comme le prouve une certaine hausse de popularité dans les sondage ?
La manœuvre semble cependant particulièrement risquée. Diviser pour régner n’est jamais une bonne attitude. Elle est surtout contradictoire pour le PQ. Entre l’objectif à court terme de remporter la prochaine élection et celui à long terme de faire l’indépendance du Québec, il semble clair que le premier l’emporte nettement aux dépens du second.
Comment penser à faire l’indépendance dans un pays divisé, alors qu’on réussit à semer la confusion même dans le clan souverainiste ? Comment aller se chercher des appuis à l’étranger en prenant des mesures qui se prêtent fort bien à des campagnes de salissage et donnent à juste titre une image d’intolérance ? Comment attirer le vote important de ces communautés culturelles qui ont maintenant une bonne raison de se méfier du PQ ?
La diversion est l’une des plus vieilles tactiques politiques. Elle demeure d’une grande efficacité.
Mais le risque est bien réel : tout cela peut sauter au visage du provocateur, comme cela semble être partiellement le cas pour le PQ. Mais le pire, c’est quand la diversion fonctionne vraiment…
Le 28 septembre, il y aura une manifestation contre la hausse des tarifs d’électricité, qui est en fait une nouvelle taxe sur la consommation d’électricité. Voilà qui paraît bien ennuyeux, pas très aisé à débattre, parce qu’il faut mettre le nez dans la gestion complaisante de nos affaires par le gouvernement québécois.
Mais il s’agit ici surtout de partage de la richesse et de justice sociale. Un sujet qui embarrasse grandement nos gouvernements tant cela semble peu les concerner et tant ils paraissent impuissants à proposer des solutions, paralysés devant le chantage des investisseurs. Vivement un autre débat pour nous tirer d’affaire… Au fait, ne croyez-vous pas qu’il faudrait rendre plus sévères les sentences contre les délinquants ?