Vieillissement des infrastructures au Québec

L’âge du béton

mercredi 26 septembre 2007, par Amélie TENDLAND

Pour expliquer le piètre état des routes, des ponts, des aqueducs et même des écoles du Québec, la recherche de coupables bat son plein. Et si, comme le suggèrent désormais plusieurs experts, la lutte contre le déficit des années 1990 s’était gagnée au détriment des infrastructures ?

Effondrement de deux viaducs, fissures dans les souterrains de Montréal, écoles aux toits qui coulent, réseaux d’aqueduc désuets, transports en commun vétustes, les infrastructures du Québec ne vieillissent pas en beauté. La faute à qui ? Aux ingénieurs ? Aux constructeurs ? Aux politiciens ? On semble oublier que nombre d’études et une quantité impressionnante de spécialistes sonnaient l’alarme depuis quelques années déjà. Parfois même depuis 10 ou 15 ans.

La mort de cinq personnes dans l’effondrement du viaduc de la Concorde, à Laval, le 30 septembre 2006, aura servi d’électrochoc. Soudain, toutes les infrastructures routières apparaissaient suspectes. Le drame du viaduc de la Concorde a mené à la création de la Commission Johnson, puis à l’inspection de 135 structures routières cet été. Récemment, tous les accès aux chantiers de la Baie-James ont même été fermés durant plusieurs jours aux camions hors normes, à cause d’inspections sur trois ponts, en Abitibi et au Lac-Saint-Jean.

Comme l’a fort joliment résumé un commentateur : « Le romantisme n’a plus sa place sous les ponts du Québec. »

Au moment même où le Québec ausculte ses infrastructures, une étude récente de Statistiques Canada aide à mieux comprendre comment nous avons pu en arriver là. L’étude, intitulée Des routes et des jeux : dépenses des administrations publiques en infrastructures au Canada. 1961 à 2005, démontre en effet que les administrations publiques ont investi massivement dans les infrastructures routières durant 20 ans, soit de 1960 à 1980. Par la suite, avec l’augmentation des déficits budgétaires, elles ont largement réduit ce genre de dépenses, quitte à laisser les infrastructures routières se dégrader à un rythme accéléré.

Selon Statistiques Canada, c’est toutefois au Québec que la situation serait la plus préoccupante. Malgré un réinvestissement important ces dernières années, qui a fait bondir l’enveloppe budgétaire de 4,3 milliards en 1998 à 7,3 milliards en 2005, l’étude conclut que ces sommes arrivent à peine à compenser la négligence passée. Aujourd’hui, les quelque 9000 ponts et viaducs du Québec détiennent le record de longévité au pays, avec un âge moyen de 27,4 ans, contre 23 ans pour l’ensemble du Canada. En dollars constants de 1997, la valeur de l’ensemble des infrastructures routières de la province serait passée de 23,5 milliards de dollars en 1981 à 19,5 milliards en 2005.

Quarante pour cent de gaspillage

Au Canada et au Québec, les réseaux d’aqueduc et d’égouts ne semblent pas en meilleur état que les infrastructures routières. Ces réseaux, dont certains ont même dépassé l’âge vénérable de 100 ans, laisseraient échapper des quantités importantes d’eau potable dans le sol. Toronto perdrait environ 8 % de son eau potable avant qu’elle ne parvienne aux robinets. À Vancouver, le gaspillage atteindrait 15 %. Certaines villes du Québec en perdraient jusqu’à 30 % !

Les réseaux d’aqueduc des villes de Québec et de Montréal seraient particulièrement amochés, même si la situation varie considérablement selon les secteurs. Selon les estimations de la Ville de Québec, les fuites de son réseau d’aqueduc représenteraient 17 % de la consommation d’eau annuelle. Tout cela apparaît encore bien modeste comparé à Montréal. En 2002, des études réalisées pour le compte de la Ville estimaient que le pourcentage d’eau potable gaspillée, uniquement lors de la distribution, voisinerait plutôt 40 % !

En 2003, une étude de SNC Lavalin/Dessau - Soprin avançait que si rien n’était fait, 67 % du réseau d’aqueduc et 15 % du réseau d’égouts de Montréal seraient périmés d’ici 20 ans. À cause d’un sous-financement chronique, on estime désormais à quatre milliards de dollars le coût de la réhabilitation complète du réseau. Et en attendant les réparations nécessaires, le laisser-aller coûte déjà cher. À la suite du bris spectaculaire d’une conduite sur le boulevard Pie-IX, en 2002, Montréal a dû verser pas moins de 12,6 millions de dollars en réclamations diverses et en poursuites judiciaires.

Il y a deux ans, dans un accès de franchise, Alan Desousa, responsable du développement durable au comité exécutif de la Ville de Montréal, avait donné son interprétation des faits au Devoir. Selon lui, l’entretien des infrastructures n’était tout simplement pas assez « rentable » politiquement. On tire de la gloire de la construction d’un pont ou d’une nouvelle structure, disait-il en substance, mais la réfection d’un égout ou d’une conduite d’eau ne vous donne pas un vote de plus.

L’ensemble est problématique

En plus des ponts, des viaducs, des routes, des réseaux d’aqueduc et des égouts, c’est l’ensemble des infrastructures du pays qui doit être examiné, selon Derek Burleton, économiste principal chez Groupe financier Banque TD. En 2004, ce spécialiste des finances publiques rappelait que la majorité des infrastructures canadiennes (routes, ponts, viaducs, transports en commun, réseaux d’aqueduc, égouts, hôpitaux, universités, logements sociaux, parcs, etc.) auront bientôt dépassé l’âge de 30 ans et qu’ils auront besoin d’investissements urgents.

Difficile d’évaluer combien il faudrait investir pour rattraper le retard accumulé depuis 20 ans. Entre 60 et 125 milliards, selon les évaluations. Pour l’instant, le programme fédéral prévoit octroyer 12 milliards aux infrastructures au cours des 20 prochaines années. Dans son dernier budget, le gouvernement Charest prévoyait 30 milliards répartis sur les cinq années à venir. À lui seul, le remplacement du gigantesque échangeur Turcot, dans l’ouest de Montréal, coûtera 1,5 milliard d’ici 2013.

On le devinera, cette valse des milliards suscite bien des convoitises. Et si bon nombre d’experts s’entendent désormais pour dire que la lutte contre le déficit des années 1990 s’est gagnée au détriment des infrastructures, cette belle unanimité se dissipe dès lors qu’il faut imaginer des solutions pour résoudre le problème. Ne présumons de rien. Mais il n’est pas exclu que ceux-là mêmes qui suggéraient jadis de baisser les impôts plutôt que d’entretenir les infrastructures, en viennent à proposer de privatiser certaines structures trop coûteuses à réparer...

Un jour, peut-être, on entreprendra aussi de calculer les coûts sociaux engendrés par des décennies de coupes sombres dans certains programmes sociaux. Mais il s’agit d’une autre histoire.


L’auteure est journaliste indépendante

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