La nouvelle cible
On assiste actuellement à une montée des enchères qui rappelle l’enchaînement de mensonges, de menaces et d’intoxication des esprits qui ont précédé l’invasion et l’occupation de l’Irak. Ainsi, l’Iran serait un foyer du « terrorisme » ; le régime clérical serait une « tyrannie » ; et-quel effroi ! -ce pays deux fois millénaire serait en train de se doter de l’arme nucléaire. Et les preuves, dites-vous ? À la Maison-Blanche, comme dans les bureaux de Cheney, Rumsfeld, Libby, Bolton et autres, on ne s’embarrasse pas trop de cette notion désuète : « C’est nous désormais qui façonnons la réalité. » Une récente fuite provenant de l’opposition intérieure à la politique de Washington a révélé la stratégie que les États-Unis entendraient suivre. Si un autre attentat « terroriste », peu importe sa provenance, devait frapper les États-Unis, ces derniers riposteraient en bombardant les installations nucléaires iraniens avec des bombes atomiques du type « bunker buster. » Ou bien, la tâche pourrait être confiée à Israël. Ce sont là des considérations essentielles pour comprendre la ligne de conduite de Téhéran. Il y a aussi l’histoire.
L’enjeu nucléaire
L’acquisition d’une capacité de production d’énergie nucléaire demeure l’un des objectifs de l’Iran depuis le régime du chah, alors « gendarme du Golfe persique. » Les États-Unis souhaitaient que Téhéran se lance dans le nucléaire. La formation de scientifiques à cette fin débuta aux États-Unis. Depuis, la Révolution islamique ne fait que continuer un programme déjà en marche, mais qu’elle doit modifier pour pallier aux effets de l’embargo américain toujours en vigueur. Il s’agit donc d’une politique qui engage l’honneur national. En vertu de Traité de non-prolifération dont il est signataire, l’Iran, tout comme d’autres pays comme le Brésil et la Corée du Sud, a le droit de produire de d’énergie nucléaire pour des fins pacifiques. Mais à l’opposé de ces deux pays, on considère l’Iran comme étant un pays « à risques », soupçonné de vouloir se doter de la bombe. Ainsi, le trio européen (France, Allemagne et Grande-Bretagne) lui propose une brochette de conditions finement ficelées avec la connivence des Américains qui l’amènerait à l’abandon de larges pans de souveraineté au profit de ceux qui, il y a vingt ans, soutenaient Saddam Hussein dans sa guerre contre l’Iran. Faudrait-il vraiment s’étonner que cette « offre » soit rejetée ?
« Nouvelle » donne à Téhéran
L’arrivée à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad ne renversera pas l’approche iranienne. Elle consolidera plutôt l’emprise des conservateurs et des religieux sur les rouages de l’État. Vainqueur sur Hachemi Rafsandjani, symbole de corruption, de magouilles et d’opérations sordides, Ahmadinejad a su convaincre une majorité importante d’Iraniens qu’il s’en prendrait à cette corruption, et au régime d’impunité qu’elle a créé. Laïc lui-même, fils d’ouvriers, homme croyant, il sera beaucoup plus proche des larges couches de la population chez qui le dialogue des civilisations et le discours des droits de la personne chers au président sortant Mohammad Khatami n’ont jamais eu d’écho. Il aura aussi l’oreille du Guide suprême Ali Khamenei, soucieux à jouer les modérés au sein de la caste au pouvoir. Au sein du groupe restreint qui élabore la politique étrangère iranienne, on trouve Mir Hossein Mousavi, homme respecté qui fut Premier ministre pendant la guerre Iran-Irak. Mousavi a récemment déclaré que le nucléaire était aussi important pour l’Iran d’aujourd’hui que ne l’était la nationalisation du pétrole en 1952. (On se souvient qu’un an après, le Premier ministre élu Mohammad Mossadeq fut renversé par le coup d’État anglo-américain qui réinstallera le chah sur son trône.) L’Iran d’aujourd’hui n’est pas celui de feu l’Imam Khomeiny, ni celui dont a hérité Khatami quand il a été élu président en 1997. Pays d’une étonnante vitalité, aux prises aussi avec de grands problèmes économiques et sociaux, il évolue très rapidement. Une évolution dont l’élection d’Ahmadinejad n’est qu’un indice parmi plusieurs.
Deux poids deux mesures
Les revendications fondamentales qui ont permis à la Révolution islamique de naître et de se consolider restent bien actuelles : justice sociale, Islam, indépendance nationale. Ahmadinejad, aux yeux de bon nombre de citoyens, incarne ces valeurs. La « démocratie » à l’américaine n’a pas d’avenir en Iran. Comme dans le dossier nucléaire, l’élection d’Ahmadinejad nous rappelle que l’Iran possède sa propre dynamique. Il se montrera flexible là où il le peut, mais sur l’essentiel, il restera intraitable. L’argument iranien aura un retentissement certain au Moyen-Orient et dans le monde islamique. La question reste posée : pourquoi des pays comme Israël, l’Inde et le Pakistan peuvent posséder l’appareil nucléaire, jusqu’à en fabriquer des bombes, mais non pas l’Iran ?