L’Irak de tous les dangers et son quotidien au féminin

jeudi 26 mai 2005, par France-Isabelle LANGLOIS

Six Irakiennes à Montréal et Ottawa. L’affaire a de quoi d’inusité. En tout cas, ce n’est pas habituel. Ce n’est pas souvent qu’on a la chance de rencontrer de ces personnes qui tous les jours vivent le quotidien de la guerre et de l’occupation, de celles qui espèrent encore et toujours un peu de démocratie, un peu de paix, plus de justice et d’équité aussi. Voilà qu’elles étaient six, que des femmes, venues de Bagdad comme du Kurdistan et du Sud de l’Irak. Chiites et sunnites confondues.

La délégation de six femmes irakiennes a pendant deux semaines rencontré ministres (dont monsieur Pierre Pettigrew), sénateurs, députés, représentants du ministère des Affaires étrangères, de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), de divers autres groupes paragouvernementaux, mais aussi d’organisations non gouvernementales, de groupes de femmes. Elles ont été reçues avec beaucoup d’égards à l’Hôtel de Ville de Montréal par Hélène Fotopoulos, et acclamées par quelques milliers de militants syndicaux réunis au Palais des congrès de Montréal pour l’Assemblée annuelle de la CSN. Mais peu, très peu de journalistes se sont intéressés à elles.

De fait, qui sont ces femmes ? Personne et tout le monde à la fois. Elles ne sont pas ministres ni de quelconques figures de proue dans leur pays. La plupart d’entre elles sont dans la trentaine, une seule a plus de 40 ans alors que la plus jeune a fêté son vingt-cinquième anniversaire à Ottawa. L’une d’elles, microbiologiste et mère de famille, travaille le reste du temps auprès des femmes chiites emprisonnées à l’époque de Saddam Hussein. Une autre, agronome, travaille dans un centre qui accueille les veuves d’Anfal à Kirkuk.

Aucune ne se connaissait avant ce séjour. Parmi elles, deux Kurdes sunnites, une est moitié chiite et moitié sunnite, les autres sont arabes et chiites. Trois portaient le foulard. L’une d’elles, venue du Sud, une région plus traditionnelle, plus religieuse, était aussi beaucoup plus consciente que les autres, à la fois du danger mais aussi de la réalité de vivre sous l’emprise des islamistes. Les Kurdes, plus laïques que les autres, avaient aussi fraîchement en mémoire tout ce que leur peuple a subi sous Saddam Hussein. L’une d’elles répétait souvent que son peuple, les Kurdes, avait été libéré en 1991, par les Américains, bien entendu. D’entendre ses consœurs parler plus virulemment de l’occupation des forces coalisées n’était pas toujours évident. Mais le fait est, qu’ailleurs qu’au Kurdistan, l’occupation de l’étranger se fait davantage sentir ; la pression étant plus forte, la sécurité est d’autant plus mise à mal.

Des femmes ordinaires, mais qui font peut-être partie de ces gens qui feront la différence. Toutes entendent seulement prendre leur place dans un nouvel Irak qui aspire à la démocratie et tout faire pour que les femmes ne soient pas en reste, car la menace islamiste plane ; la charia pourrait bien être incluse dans la constitution. Elles doivent être vigilantes, saisir toutes les occasions qui s’offrent à elles pour faire valoir leurs droits, et surtout aviser, informer, conseiller leur sœurs, pendant qu’il en est encore temps. Des soupirs de lassitude, de désespoir parfois, ce sont fait entendre, mais jamais bien longtemps.

Tout a commencé lorsque Mandana Hendessi, une Britannique d’origine iranienne, a effectué un séjour de six mois en 2003-2004 en Irak pour le compte du National Women Commission du Royaume-Uni, sorte de Conseil du Statut de la femme. La majorité des femmes alors rencontrées lui ont parlé du besoin qu’elles ressentaient de suivre des formations à l’extérieur, en Occident. Des formations sur des questions aussi peu simples que : « le genre et le développement » ou la démocratie. Ainsi a été mis sur pied un programme de formation qui a amené les six premières candidates retenues à passer au total six semaines en Grande-Bretagne et deux semaines au Canada. Le ministère des Affaires étrangères et l’Agence canadienne de développement international (ACDI) ayant aimablement accepté d’accueillir la délégation à la demande des Britanniques.

Durant leur séjour au Canada, ces femmes ont donc entendu parler de politique, du mouvement des femmes au Québec et au Canada, des luttes gagnées et de celles qui ont toujours cours, de défense et de respect des droits humains. De la théorie et des grands principes, les discussions ont la plupart de temps pris une tournure très concrète et parfois très actuelle : scandale des commandites, droits des homosexuels, mariages de personnes de même sexe, avortement, etc. Bref, tout cela n’était pas toujours facile à entendre pour ses six femmes. Elles étaient souvent confrontées à leurs propres limites.

Et puis il n’était pas toujours facile de vivre ensemble, pendant six semaines, les unes avec les autres. Mais voilà, c’est aussi cela l’Irak, et c’est aussi cela d’apprendre à vivre en démocratie.

Et c’est sans compter l’histoire du frère qui suivait de trop près un véhicule de l’armée américaine. Alors il s’est fait engloutir. Lorsque des badauds ont voulu lui venir en aide, ils se sont fait tirer dessus. Et puis l’histoire du frère pharmacien à qui certaines autorités locales reprochent de faire le commerce de la drogue, mais dont les rayons du commerce ne seraient pas beaucoup plus garnis qu’au moment de l’embargo. Ce frère ne rêve plus que de quitter l’Irak. Une autre racontera comment son neveu a réussi à échapper à ses ravisseurs, petits bandits à la recherche d’argent vite fait. Des kidnappings dont on entend peu parler ici, mais qui se produisent quotidiennement à Bagdad. Il y aura aussi quelques confidences, plus intimes. Des confidences de femmes. Car la sexualité est toujours un sujet tabou, et le mariage un passage obligé. Or, en raison des nombreuses guerres menées depuis le début des années 1980, l’Irak compte aujourd’hui plus de 60 % de femmes, dans certaines régions, selon certaines, leur nombre atteindrait les 70 %. Il n’y a donc pas de mari pour toutes, situation qui confine au chaste célibat sous le toit paternel. Ou alors on fait un peu moins la fine bouche, et l’on accepte de marier un homme dont on n’est pas amoureuse, de peur de rester seule. Et cela fini aussi par justifier les mariages polygames, en recrudescence.

Entre occupation, menace islamiste, poids des traditions, différences ethniques et religieuses, ces femmes sont confrontées à bien des dangers et bien des défis, dont celui d’apprendre à vivre ensemble dans le respect de la différence. Ces femmes, qui n’ont laissé personne indifférent lors des rencontres, se nomment : Nesrine, Salma, Surrud, Taameen, Ula, Zainab.

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