Ces élections marquent la dernière étape d’une série de réformes politiques mises en place depuis la chute du régime de Suharto, en 1998. « Le processus électoral et les réformes politiques ont été largement dictés par les forces internationales » affirme Don Marut, directeur de l’Institut indonésien pour la transformation sociale (INSIST). Selon lui, la récente libéralisation de l’économie indonésienne et le rôle des militaires dans les zones de conflit démontrent que l’armée travaille en tandem avec les intérêts économiques étrangers pour tirer avantage de la situation politique en Indonésie.
Un exemple de cette explosive combinaison : la province du Sulawesi central. Entre 1999 et 2002, une lutte opposant des milices chrétiennes et musulmanes s’est transformée en conflit généralisé, au cours duquel 2 000 civils ont été tués et plus de 100 000, déplacés. Mohammed Ridwan Lapasere, porte-parole de l’Association indonésienne des journalistes pour la province du Sulawesi central, explique : « Après la chute de Suharto, l’armée a alimenté le conflit en appuyant les milices des deux côtés. Des enquêtes ont démontré que les milices utilisaient des armes qui avaient été fournies par l’armée. Dans certains cas, du personnel militaire entraînaient les milices. On avait d’abord l’impression que c’était un conflit local sur une base religieuse, mais avec toutes les preuves qui démontrent l’implication de l’armée, il est clair que ce conflit a été aggravé par des forces externes. » Durant les événements, un grand nombre d’unités militaires ont été appelées en renfort pour rétablir la sécurité, mettre sur pied des postes de contrôle et interdire l’accès aux terres abandonnées par ceux qui les avaient fuies.
M. Lapasere explique qu’un des objectifs des militaires en alimentant les conflits régionaux est de se présenter comme étant la seule force politique capable d’assurer la sécurité. Un deuxième but serait aussi de récolter les profits issus du contrôle des terres et de la mise en œuvre des programmes gouvernementaux de reconstruction. Ce qui leur donne à la fois le mandat politique et les ressources pour envisager un retour aux fonctions politiques qu’ils occupaient sous le régime dictatorial de Suharto, alors qu’ils contrôlaient entièrement le pays.
Les impacts de cette stratégie sur la population deviennent évidents lorsqu’on discute avec des gens comme Kornelius Ranai, un petit producteur de cacao. Il habite un village où 30 personnes ont été tuées durant le conflit : « Notre communauté veut un gouvernement militaire. C’est la seule façon d’assurer la sécurité. On ne voit pas de résultats concrets à la suite des réformes politiques mises sur pied. Tout ce que nous avons connu jusqu’à maintenant, ce sont des conflits, des réfugiés et des périodes difficiles. » Même s’il admet qu’un gouvernement militaire augmenterait les chances d’un retour à un régime dictatorial, il croit que les plus grands risques encourus par sa communauté demeurent les conflits internes.
Le prix de la terre
Selon Don Marut, un autre motif explique l’alimentation des conflits dans la province du Sulawesi central : « Les programmes d’immigration mis sur pied dans les années 70 et 80 par le gouvernement ont accordé aux nouveaux arrivants des droits fonciers particulièrement généreux. Mais depuis, d’importantes richesses pétrolières et minières ont été découvertes dans cette région. Parce que le gouvernement ne peut pas simplement déplacer ces immigrants des terres qu’on leur a accordées pour ouvrir la voie aux compagnies internationales - comme il le fait dans d’autres régions -, il doit fomenter les conflits pour déplacer les populations. »
Selon Anto Sangaji, à la tête du Mouvement pour une terre libre dans la province du Sulawesi central, INCO, une multinationale minière canadienne, est l’une des compagnies impliquées dans ces manœuvres. INCO exploite plusieurs mines de nickel et de cuivre dans les montagnes du Sulawesi. Comme toutes les compagnies d’exploitation de ressources naturelles en Indonésie, elle octroie d’importants contrats à l’armée et à des unités spéciales de la police afin d’assurer la sécurité de ses opérations.
M. Sangaji donne l’exemple de la petite communauté de Luwu. Ses membres ont dû fuir leurs terres, situées dans une zone de conflits. Lorsqu’ils sont retournés sur les lieux quelques années plus tard, leurs terres étaient maintenant devenues propriétés de la compagnie INCO. Et la même compagnie, aidée par les forces spéciales, empêche maintenant ces gens de réclamer leurs terres. C’est un scénario qui se répète dans toutes les zones de conflits du territoire indonésien (Sulawesi central, Papua, Aceh), affirme M. Sangaji.
Suarthna Made est membre de l’organisation INSIST et se spécialise dans l’analyse des médias communautaires. Selon lui, plutôt que d’encourager la liberté de la presse, le respect des droits humains et le développement de programmes sociaux, les réformes politiques ont engendré la privatisation et la perte de contrôle national sur les ressources naturelles.
Il ne se fait pas d’illusion sur les résultats des élections. C’est l’ancien parti de Suharto, Golkar, encore influent au sein de l’actuel gouvernement, qui est en tête des sondages : « Ce scrutin est comme du vieux vin dans une bouteille neuve. Si les militaires gagnent des postes clés au niveau politique, ils utiliseront la force pour faire régner les intérêts commerciaux étrangers à travers tout le pays, comme ils le font déjà dans des régions comme le Sulawesi central. Peu importe pour qui nous votons, nous serons toujours aux prises avec une démocratie sans respect des droits fondamentaux. »
Alex Hill