« L’Inde qui brille »

vendredi 28 mai 2004, par Feroz Mehdi

En Inde, les 14e élections parlementaires, depuis l’indépendance en 1947, se sont déroulées en quatre étapes du 20 avril au 10 mai. Si les résultats, surprenants, font maintenant couler un peu d’encre dans les journaux occidentaux, jusque-là ces élections avaient été passées quasi sous silence. Pourtant, les enjeux sont de taille. Savoir voir sous et au-delà de la surprise.

L’électorat indien donne une très importante leçon à toutes les démocraties parlementaires du monde. Le peuple indien n’a pas seulement rejeté la coalition déjà en place de l’Alliance démocratique nationale (NDA), conduite par le parti de droite nationaliste hindou, le Parti du peuple indien (BJP), mais il a fait du Parti du Congrès dirigé par Sonia Gandhi, d’origine italienne, le parti dominant au Parlement. Le Parti du Congrès et ses alliés ont gagné 215 sièges sur un total de 543, alors que le BJP et ses alliés en ont obtenu 184. Le Parti du Congrès n’aura pas de mal à réunir les 272 membres nécessaires, avec le soutien du Parti de Gauche et les autres partis laïcs de la région.

Le BJP a mené sa campagne électorale sur deux fronts : la croissance économique et le nationalisme hindou. Le premier a été véhiculé par le slogan « L’Inde qui brille » : abondance de marchandises, richesse pour la classe moyenne et ouverture pour tous les secteurs de l’économie indienne à la privatisation par des multinationales.

Pendant son règne au gouvernement, le BJP a permis aux Indiens d’obtenir plus facilement un prêt bancaire pour s’acheter une Mercedes Benz, a prétendu à un taux de croissance élevé de 8 %, a créé un ministère du Désinvestissement (la tâche de ce ministère était de vendre les entreprises publiques au capital privé), et a prétendu à des soldes bancaires très rassurants en devises étrangères.

Pour ce qui est du nationalisme hindou, le BJP a mené la campagne sous le slogan « Une personne, une religion et une culture ». Il a attaqué de façon permanente les minorités, particulièrement musulmanes, et stigmatisé l’origine italienne de Sonia Gandhi.

Le BJP a perdu sur les deux fronts. Bien qu’il est vrai qu’il est plus facile pour certains d’obtenir un prêt bancaire pour acheter une Mercedes Benz, près de 70 % des ménages n’ont pas de compte en banque. Quels que soient les chiffres qui pourraient être ajoutés relativement au taux de croissance économique, un journaliste a fait observer à juste titre que le « secteur » en croissance le plus rapide en Inde est... l’inégalité.

L’Inde compte le plus grand nombre d’enfants sous-alimentés dans le monde, abrite environ la moitié des personnes souffrant de la faim sur la planète, près de 9 femmes enceintes sur 10, âgées entre 15 et 49 ans, y souffrent de malnutrition et d’anémie, et la moitié des enfants de moins de cinq ans souffre modérément ou sévèrement de malnutrition ou d’arrêt de croissance. La plupart sont des filles.

Voilà pour « l’Inde qui brille ». Les populations de l’Inde ont rendu leur verdict.

Le second partenaire le plus important du gouvernement de la coalition de la NDA était le Parti Telgu Desam (TDP), un parti régional de la province d’Andhra Pradesh. Ce parti était le chef de file dans la campagne de mondialisation néolibérale commencée cinq ans auparavant. Il vient d’être complètement écarté du pouvoir.

Or, le Forum social asiatique avait justement eu lieu en 2003 à Hyderabad, la capitale d’Andhra Pradesh alors que le Forum social mondial de 2004 s’est tenu dans la capitale financière de l’Inde, Bombay. Il ne s’agit pas d’établir une causalité entre les résultats de sélections et ces deux événements. Seulement de signaler que les 130 000 participants du Forum social peuvent respirer en toute liberté maintenant.

Mais rappelons que le Programme d’ajustement structurel d’ouverture de l’économie indienne dicté par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale a été amorcé par le Parti du Congrès en 1995. Et c’est sous son gouvernement que le BJP a mené une campagne de haine qui a réussi à détruire la mosquée historique Babri.
Ainsi, personne n’attend du Congrès qu’il renverse les politiques néolibérales et démente son penchant pour les États-Unis. Une chose est certaine pour les militants des mouvements sociaux : peu importe le parti vainqueur, la lutte doit se poursuivre.

Alors, pourquoi le parti progressiste laïc se réjouit-il ? Pourquoi la gauche a-t-elle étendu son soutien au Congrès, pour la formation du futur gouvernement ? L’une des raisons est que la défaite du BJP est en réalité la défaite du RSS, point d’appui idéologique du BJP, qui est un parti ouvertement fasciste, inspiré des Nazis et de Mussolini. Ainsi, l’électorat indien a vaincu les successeurs d’un Italien, et mené au pouvoir un parti démocratique dirigé par une femme d’origine italienne. Ils étaient plus de 390 millions d’électeurs à participer à cette bataille !


L’auteur est chargé de projets pour le sous-continent asiatique à Alternatives.

À propos de Feroz Mehdi

Secrétaire général, Alternatives International *

Feroz Mehdi est membre fondateur d’Alternatives et travaille depuis plusieurs années aux projets lliés à la région de l’Asie du sud. Il a aussi travaillé aux niveau des programmes d’éducation au Québec et au Canada, organisant notamment des conférences et contribuant à la publication de bulletins d’actualité et de documents d’analyses et d’information.

Depuis 2007, Feroz est Secrétaire général de la fédération Alternatives International dont le secrétariat est basé à Montréal. Alternatives International compte 9 membres représentant le Canada, la France, le Brésil, Israël, la Palestine, l’Afrique du sud, le Niger, l’Inde et le Maroc.

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