L’Autre 400e de Québec : rouvrir l’histoire

jeudi 1er mai 2008, par Jean-Michel Landry

Les fêtes du 400e anniversaire de Québec devraient être un moment de réjouissance collective. Et pourtant, nombreux s’en sentent déjà exclus – à commencer par les peuples des Premières Nations. De ce mécontentement est née L’Autre 400e, une invitation à se réapproprier notre histoire et à commémorer autrement.

Les commémorations cultivent à la fois la mémoire et l’oubli. À coup de cérémonies et de discours, elles réaffirment une version de l’histoire, et en enterrent une autre. La mémoire officielle, pour ainsi dire, ne s’écrit pas seulement sur les pages des manuels scolaires ; elle se raconte et se légitime également à travers les reconstitutions, les parades et les allocutions qui rythment les commémorations.

À cet égard, les fêtes du 400e anniversaire de la ville de Québec ne font pas exception. Geneviève McKenzie, une artiste innue de Matimekosh, l’a appris à ses dépens. Après avoir été recrutée par l’organisation du 400e afin de rédiger une chanson et un conte amérindien, elle s’est vu refuser l’accès à la scène. Pourquoi ? « Ils ne veulent pas d’Amérindiens, mais ils veulent notre folklore. Parce que le folklore c’est beau, c’est gentil et, surtout, c’est silencieux. Mais nous, on sait que ce folklore s’est construit dans la souffrance. Il est indissociable de nos luttes contre l’humiliation Or cette histoire-là, on ne veut pas la voir ni l’entendre… de peur qu’elle gâche le beau party », dit Geneviève McKenzie.

« Un miroir qui nous renvoie notre propre image »

Tshampu, le fils spirituel de Mme McKenzie, constate que les célébrations du 400e reproduisent la logique d’enfermement qui a donné naissance au principe des réserves. « On nous assigne des petites cases toutes délimitées et un rôle bien précis. Tout est orchestré d’avance. Or, nous ne sommes pas des mascottes ; nous sommes des êtres humains et nous avons vécu des choses difficiles. On a besoin de le dire pour la guérison de l’âme. Tant et aussi longtemps que ce besoin-là ne sera pas respecté, on demeurera un peuple en souffrance. » Selon lui, le 400e anniversaire de la fondation de Québec ne permettra pas aux peuples des Premières Nations de partager leur vision du passé, et encore moins leur lecture du présent.

Ce constat est partagé par L’Autre 400e, une convergence d’individus et d’organisations de la région de Québec qui adoptent une attitude critique vis-à-vis des célébrations officielles. « Si les Amérindiens sont les grands perdants de ces célébrations, les citoyens de la ville de Québec, eux, en sont les grands oubliés, constate son porte-parole, Robin Couture. Dans leur forme actuelle, les fêtes du 400e s’adressent avant tout aux touristes et à ceux qui sont perçus comme des consommateurs potentiels par les hôteliers et les restaurateurs. Ces fêtes-là ressemblent à un miroir qui nous renvoie notre propre image : celle d’une ville obsédée par le commerce et prête à se vendre au plus offrant. »

Commémorer autrement

Geneviève McKenzie a rompu définitivement avec l’organisation du 400e. Mais elle n’entend pas baisser les bras pour autant : « Pensez pas qu’on va attendre de recevoir une permission pour s’organiser autrement. Ici, à Wendake, plusieurs se mobilisent pour rappeler les dix mille ans de présence amérindienne dans la région de Québec », assure-t-elle. La conception et la mise en vente du t-shirt « Stadacone 2008 » comptent parmi ces initiatives. « L’histoire officielle cherche à masquer le sort tragique des peuples amérindiens », affirme Mme McKenzie. « Mais heureusement, nous sommes toujours bien vivants pour le dire. »

La solidarité avec les Premières Nations est d’ailleurs au cœur des préoccupations de L’Autre 400e. « Mais il est hors de question de parler en leur nom, précise Robin Couture. Bien sûr, notre démarche concerne les peuples amérindiens, mais elle s’inscrit dans une perspective plus large : nous invitons les citoyens de Québec à faire l’histoire. C’est-à-dire à mettre de l’avant l’histoire des luttes sociales menées par les Québécois, l’histoire des femmes, l’histoire des immigrants et celle des autochtones. » Bref, il s’agit de faire surgir l’histoire qui est ensevelie sous le poids des discours célébrant les « grands hommes » et les « grands événements ». En ce sens, L’Autre 400e est avant tout une invitation lancée aux habitants de Québec ; une organisation inclusive qui fonctionne par le biais d’assemblées générales publiques.

Et la programmation ? Bien qu’elle ne soit pas fixe, Robin Couture dit qu’on peut s’attendre à un peu de tout : des activités familiales, des interventions théâtrales, des ateliers d’éducation populaire et des évènements dénonçant la présence des militaires et celle du congrès eucharistique. Bref, de quoi briser le consensus et rouvrir l’histoire.

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