
Le Clézio est en quelque sorte fils d’une mondialisation dont le colonialisme fut une étape importante. Son père, né à l’île Maurice, a étudié à Londres avant de pratiquer la médecine, notamment en Guyane anglaise et dans maints pays africains. Sa mère est Niçoise et quant à lui, il a bourlingué toute sa vie durant. Avec lui, le pays s’anime : on peut rompre ou renouer avec lui, se l’approprier, le courtiser...
Dans l’Africain, le narrateur explore ses racines : il tente de se les approprier par l’entremise de son père et de l’Afrique. C’est une tentative non pas désespérée, mais désillusionnée. Contempteur de l’exotisme et de la nostalgie, l’auteur se méfie tout autant de la littérature, bref, de « la peau morte qu’on appelle l’art ». Il écrit : « les souvenirs trompent, sans doute. [...] Mais peut-être qu’à l’écrire je rends trop littéraire, trop symbolique... »
La narration, quelque peu décousue, ajoute au charme du récit. Y sont décrites, les choses telles qu’elles sont. À l’âge de huit ans, après la guerre, il ne reconnaît en son père qu’un ennemi, qu’un aventurier endurci et intolérant. Ce n’est que plus tard qu’il assumera son héritage, en faisant un pèlerinage sur ses traces. Pour ce faire, le support photographique est tout indiqué : il en use avec parcimonie, l’intégrant autant que possible dans le texte, sans pour autant négliger la description.
Son père s’identifie à ceux qu’il soigne : il n’est mauricien que par son enfance, britannique que par la BBC qu’il écoute journellement, français que par sa femme... Il est africain. Dégoûté du colonialisme, il se rend compte que la médecine est l’un de ses plus redoutables instruments : plus efficace que le militarisme, cette forme de paternalisme, plus insidieuse, instille dans l’esprit des sujets le rapport de force soignant/soigné.
Se lisant en quelques heures, ce petit livre est un enchevêtrement de souvenirs et d’impressions. À consommer comme un scotch sec : d’un seul coup, et en plissant les yeux de bonheur.