La couverture médiatique internationale de l’élection au Kenya (dont les résultats ont été manipulés) et des violences qui ont suivi est scandaleuse. Dans la majorité des reportages, il existe des faussetés et des déformations sur ce qui se passe. Voici trois affirmations inexactes.
Un conflit ethnique
Premièrement, il ne s’agit pas d’un conflit ethnique. Comme d’autres conflits africains, la crise au Kenya est présentée comme un conflit ethnique. Ceci est évident dans des commentaires utilisant le terme « conflit tribal », une approche clairement raciste et erronée.
Même si la composante ethnique est bien présente dans ce conflit, son importance a été exagérée aux dépens d’une réalité incontournable : l’écart entre les riches et les pauvres, et les inégalités dans la distribution des ressources entre les différents groupes ethniques et au sein de ceux-ci. Comme plusieurs l’ont déjà souligné, il faut recentrer ce conflit sur la question politique.
Plus spécifiquement, la violence organisée après l’élection doit être comprise comme la manipulation par les élites de leurs partisans (notamment en équipant les milices armées et en ayant recours aux forces de l’État) pour s’imposer de façon brutale. Ces soi-disant leaders fomentent la haine au sein de leur base pour leurs seuls bénéfices personnels. Des politiciens assoiffés de pouvoir, prêt à sacrifier la vie des Kenyans et à user de violence pour influencer la communauté internationale cherchent à gagner ou conserver le pouvoir. Les deux camps sont coupables, mais c’est surtout l’homme déclaré président qui a eu recours de manière disproportionnée à la force brutale de la police et de l’armée.
Une analyse du conflit sur des bases uniquement ethniques n’est donc possible qu’avec une vision déformée de l’histoire et du contexte présent.
Un conflit inattendu
Ce conflit au Kenya ne constitue pas une surprise. Il faut attaquer les mythes voulant que ces développements tragiques sont inattendus et qu’il s’agisse d’un coup dur envers un « phare de stabilité, de démocratie et de croissance économique en Afrique ». Ceux qui connaissent l’histoire du Kenya, du colonialisme et du Kenya depuis l’indépendance savent que ces événements ne représentent pas un choc imprévisible, qu’ils se préparaient depuis longtemps. Ils sont liés à l’impuissance des gouvernements kenyans à mettre fin à la brutalité et à la distribution du pouvoir héritées des Britanniques. De multiples signaux présageant la violence étaient perceptibles durant la campagne électorale pour tous ceux qui l’ont suivie, et qui ont vu Mwai Kibaki et le chef de l’opposition Raila Odinga fomenter les tensions ethniques. Toutefois, trop peu de gens ont reconnu le problème. Ceux qui affirment qu’il s’agit d’une surprise sont soit complètement ignorants, malhonnêtes ou naïfs. Et quiconque soutient que le Kenya est un « phare de stabilité, de démocratie et de croissance économique en Afrique » ignore les souffrances et les injustices que subissent les Kenyans quotidiennement. La forte croissance économique durant les cinq ans du régime Kibaki est trompeuse, puisqu’elle n’a profité qu’à l’élite en raison de la corruption endémique et d’un écart plus grand entre les riches et les pauvres.
Le rôle des États-Unis
Le mythe le plus important concerne le rôle des États-Unis. Les Américains sont des acteurs très importants au Kenya et en Afrique de l’Est. Les alliés-clés des Américains sont le Kenya, la Tanzanie, l’Éthiopie, Djibouti, l’Ouganda et le gouvernement de transition de la Somalie. Ils sont là pour réduire l’influence du Soudan, de l’Érythrée et de l’Union des tribunaux islamiques de Somalie. Il n’est donc pas surprenant de constater que les chefs d’États qui ont félicité publiquement Kibaki pour sa « victoire » sont des alliés de Washington. Ces leaders incluent le président de l’Ouganda, celui du gouvernement provisoire de Somalie, le roi du Maroc et le premier ministre du Swaziland.
L’administration Bush a clairement appuyé le président sortant Kibaki, parce que son gouvernement était l’un des alliés cruciaux dans la « guerre contre le terrorisme » dans la région. Le gouvernement Kibaki, avec l’appui des Américains et des Britanniques a mené des opérations visant des musulmans vivant le long de l’Océan indien. Selon des groupes de défense des droits de la personne du Kenya, des musulmans ont été arrêtés, torturés et expulsés sans procès en Somalie, en Éthiopie ou ailleurs.
Le Kenya était aussi un allié lorsque les États-Unis ont appuyé l’invasion de la Somalie par les forces éthiopiennes pour renverser l’Union des tribunaux islamiques dans le sud de la Somalie. En d’autres mots, l’administration Bush avait tout intérêt à ce que Kibaki, un allié-clé dans la « guerre contre le terrorisme », reste au pouvoir. De plus, les Américains, les Britanniques et les autres Européens qui font des affaires au Kenya n’aimaient pas la plateforme sociale-démocrate d’Odinga.
La plus grand coup porté à la crédibilité et à la neutralité des États-Unis est survenu tout de suite après l’annonce des résultats de l’élection. Le Département d’État a rapidement félicité l’homme qui fut sacré président pour sa « victoire ». Ceci a été fait même si tous les diplomates dans le pays savaient que le scrutin et la nomination hâtive du président étaient entachés d’irrégularités. Réalisant son erreur, le Département d’État a rapidement mis de côté ses congratulations en émettant une déclaration demandant la fin des violences et la résolution du conflit par des moyens juridiques. Cependant, il était clair que ces moyens favorisaient le président sortant. Ils consacrèrent donc le statu quo : Kibaki et la corruption.
La médiocrité du journalisme international
La crise au Kenya doit être couverte de long en large, mais elle doit être expliquée correctement en intégrant le contexte historique et le point de vue des habitants. L’opinion de la population doit être rapportée, mais elle ne doit pas être présentée de façon sensationnaliste comme c’est souvent le cas à la télévision. On entend d’ailleurs rarement les gens s’exprimer. La narration paraphrasée est omniprésente. Pourquoi ne pas utiliser plus souvent des sous-titres ?
En conclusion, des nouvelles sans référence historique et dénuées de contexte constituent un assemblage de demi-vérités. Des nouvelles sans le respect et l’avis des gens affectés, c’est une liste de stéréotypes. Lorsque la situation va se calmer un peu, les médias vont se désintéresser du Kenya. C’est comme s’il n’y avait pas d’intérêt pour l’Afrique ou les Africains, à moins qu’il n’y ait un autre bain de sang comme au Rwanda. Ainsi, on pourra stéréotyper les Africains en les présentant comme des sauvages. J’espère que tous les journalistes, les reporters et les rédacteurs en chef vont tenir compte de cet appel et vont commencer à rapporter de façon juste ce qui vient d’Afrique.