Kabila, dégage !

lundi 9 janvier 2012, par Michel LAMBERT

Le 28 novembre dernier, les électeurs de la République démocratique du Congo (RDC) étaient conviés aux urnes pour une double course, présidentielle et législative, à un tour. Au terme d’un scrutin et d’un dépouillement entachés des pires irrégularités dans l’ensemble du pays, Joseph Kabila, satrape en place depuis 2001, fut reconfirmé Président, tant par la Commission électorale indépendante le 9 décembre que par la Cour suprême de justice (CSJ) de la République la semaine suivante. Kinshasa est depuis traversée par une vague de violence politique importante. Les Congolais au pays et ceux de la diaspora sont en colère.

C’est à l’issue d’une première sombre saga, celle de l’assassinat de celui qu’il a présenté comme son père, Laurent Désiré Kabila, que Joseph Kabila prend le pouvoir en RDC en janvier 2001. En 2006, il est pour la première fois élu, lors d’un scrutin à deux tours, comme le stipule la toute nouvelle constitution de la RDC (2005), devant son principal opposant d’alors, Jean-Pierre Bemba, ex-rebelle et bientôt lui-même accusé de crime contre l’humanité par le Tribunal international de la Haye. Fort de 58% des suffrages, Kabila lance les tanks contre Bemba qui doit finalement quitter le pays.

Malgré cette transition « démocratique » trouble, le gouvernement nouvellement élu en 2006 semble œuvrer pour une meilleure gouvernance. Kabila promet de mettre fin aux conflits, de réprimer la corruption, la criminalité et l’impunité. Il lance cinq chantiers pour le développement : infrastructures, création d’emplois, éducation, accès à l’eau et à l’électricité et santé. Mais ce processus s’arrête rapidement. Kabila restreint le parlement, le pouvoir judiciaire ainsi que les droits civils fondamentaux. Il diffuse son influence dans tous les domaines de l’État en créant des structures parallèles à la plupart des ministères. Même l’armée nationale voit ses ressources diminuées au profit de la garde présidentielle. Enfin, les cinq chantiers, n’obtiennent que des micros financements bien loin des seules dépenses officielles de la Présidence.

Mais surtout, Kabila s’avère désintéressé à régler la guerre qui perdure dans l’Est et qui, depuis 1997, a coûté entre 5 et 8 millions de vies ! Les troupes rebelles et les invasions étrangères se multiplient au dépens d’une population maintes fois sacrifiée sur l’hôtel de ses incroyables ressources naturelles. Des ressources qui sont à l’origine d’un enrichissement illégal et qui n’ont apporté qu’une contribution faible, voire inexistante, au développement du pays. Les trafiquants et escrocs de tout acabit font des affaires d’or à Goma et Bukavu pendant que des milliers de personnes sont assassinées et que les crimes sexuels, le viol comme arme de guerre, demeurent impunis ! Kabila multiplie les ententes commerciales, bradant les ressources naturelles au plus offrant. Global Witness, précise : « Ces dix dernières années, en particulier, de nombreux accords d’exploitation minière lucratifs ont été signés à l’issue de transactions opaques entre des dirigeants politiques non élus et ne faisant l’objet d’aucun contrôle et des compagnies minières et d’autres exploitants économiques ».

Le Canada est au nombre de ceux qui possèdent des intérêts importants dans l’exploitation minière en RDC. Cette semaine seulement (janvier 2012), la firme canadienne First Quamtum, s’est entendu pour pas moins de 1,25 milliards de dollars avec une autre minière, la Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) pour céder ses droits sur les riches gisements de cuivre et cobalt de Kolwezi (Katanga). Que restera-t-il pour les congolais ?

Hold-up électoral

Sentant la soupe chaude avec le retour dans la lutte d’Étienne Tshisekedi, 78 ans, l’opposant de Mubutu et de Kabila père, Joseph Kabila fait opportunément réviser la Constitution de 2006 pour faire passer l’élection présidentielle de deux à un unique tour. Ce changement de la constitution permet une victoire rapide à Kabila avec 48,9% des suffrages face à ses adversaires divisés. Les chiffres démontrent que si l’opposition avait réussi à s’unir sur une candidature commune, elle l’aurait emporté.

Au delà de la Constitution, la campagne, le scrutin, les opérations de dépouillement et de comptage furent entachés de si nombreuses irrégularités relevées notamment par des observateurs de l’Union Européenne et du Centre Carter (USA) qu’ils « manquent de crédibilité ». Désorganisation des bureaux de vote, bourrage des urnes, attaque et incendies de bureaux de vote, intimidations et passage à tabac de personnalités, piratage du site de la Commission électorale nationale indépendante, etc. Les élections législatives ayant eu lieu le même jour que le scrutin présidentiel, les partis en présence et plusieurs ONG locales émettent de sérieux doutes sur la transparence et la crédibilité des élections à la députation dont les résultats doivent être révélés le 13 janvier 2012.

Au lendemain de l’annonce de la victoire de Kabila, Étienne Tshisekedi rejetait les résultats officiels et se proclamait Président élu. Il a même tenté quelques jours plus tard de prêter serment au grand stade de Kinshasa mais s’est retrouvé depuis, en résidence surveillée, chez lui. Dans la capitale, des supporteurs de Tshisekedi sont enlevés, tabassés ou tués quotidiennement. C’est le chaos !

Dégoûtés, la diaspora congolaise à Paris, Berne, Bruxelles, Montréal et Ottawa s’est solidarisée avec les Congolais restés au pays. Rapidement, les ambassades de la RDC en Afrique du Sud, à Paris et à Berne sont tombées aux mains des ceux qui s’identifient comme des résistants ou des combattants congolais venus pour y remplacer les photos officielles du président Kabila par d’autres d’Étienne Tshisekedi. À Ottawa, c’est au poivre de cayenne que les policiers leur ont interdit l’accès à l’ambassade congolaise. D’emblée, ils déclarent toutefois qu’ils feront d’autres actions et qu’ils ne laisseront pas impuni ce vol électoral.

Résistants canadiens

Robert Luemba réside à Montréal depuis une dizaine d’années. Il est récemment retourné en RDC pour devenir candidat député pour le parti Engagement pour la Citoyenneté et le Développement (ECIDé), territoire de Lukula dans la province du Bas Congo. L’ECIDé est une formation politique membre de la « Dynamique Tshisekedi Président » un regroupement de plus de 90 partis qui a soutenu la candidature d’Étienne Tshisekedi.

Il commente les récentes mobilisations de ceux et celles qui se sont appelé « les combattants » à Ottawa en précisant que, selon lui, la très grande majorité des 15 ou 20000 congolais qui vivent au Canada souhaitent le changement en RDC. « Par nos actions, nous voulons mobiliser l’opinion québécoise et canadienne pour le retour du droit en RDC. Plus globalement, nous voulons rappeler ses responsabilités à la communauté internationale. Car d’une part, on nous a prescrit la démocratie, mais d’autre part, on veut maintenant nous imposer d’accepter un faux résultat. C’est comme si on disait aux Congolais que la démocratie n’est pas pour eux ! »

Le Canada, comme toujours, demeure au mieux tiède « et comme toujours aligné sur la position américaine », précise M. Luemba. John Baird, le ministre des Affaires étrangères, s’est contenté, le 9 décembre, de publier un communiqué de presse mentionnant qu’il était préoccupé par les irrégularités signalées dans le processus électoral. Depuis, le Canada semble s’être rangé derrière l’ensemble des pays qui choisissent de reconnaitre la « victoire » de Kabila. Les affaires pourront continuer.

Un appel à la société civile d’ici

Si M. Luemba précise que « les Congolais au Canada ont reçu des appuis politiques significatifs dans leur combat pour la liberté », il ajoute aussi que la communauté congolaise souhaite une plus grande sensibilité des organisations de la société civile québécoise et canadienne. Elles n’ont jusqu’ici porté que peu d’attention à leur situation et à leur lutte.

Le Congo a subi les guerres les plus meurtrières depuis la Seconde guerre mondiale et est encore aux prises aujourd’hui avec des viols, des conflits et l’impunité. Voyant leurs ressources naturelles pillées pendant que la très grande majorité des habitants sont sans emploi, ne mangent pas à leur faim, n’ont pas accès à l’éducation ou aux soins de santé ; les Congolais exigent de pouvoir gérer eux même leur pays.

Et pour eux, ça commence par le départ de Joseph Kabila !

Crédits photo : Michel Lambert

À propos de Michel LAMBERT

Co-fondateur en 1994 puis Directeur général d’Alternatives entre 2007 et 2020, Michel Lambert fut Président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale de 2017 à 2020. Il a travaillé au rapprochement des groupes et organisations de la société civile, d’ici et d’ailleurs pour la promotion des principes de la démocratie, de l’égalité et de l’équité pour tous.

Il a tour à tour développé plusieurs des programmes de solidarité internationale d’Alternatives en plus de lancer et animer de multiples campagnes de justice sociale au Québec et au Canada. Il a dirigé l’antenne d’Alternatives en République démocratique du Congo entre 2002 et 2005 avant de prendre la direction de l’organisation en 2007.

Michel Lambert fut membre du Conseil de Gouvernance d’Alternatives International , du Conseil d’administration d’Alliance syndicats et tiers-monde. Il a aussi été membre des Conseils de l’AQOCI entre 2009 et 2013, de l’Association pour le progrès des communications (APC) entre 2008 et 2011 puis entre 2017 et 2020 et de Food Secure Canada entre 2009 et 2012

Il a représenté Alternatives au Conseil International du Forum social mondial et au sein de diverses coalitions québécoises et canadiennes dont notamment, les coalitions Pas de démocratie sans voix, Voices/voix. le Réseau québécois de l’intégration continentale - RQIC et plus récemment au comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique .

Michel Lambert a joué un important rôle de mobilisation et de construction lors du Forum social des peuples tenu à Ottawa en août 2014 .

En 2018, il confondait Cultiver Montréal, le réseau des agricultures montréalaises.

En 2020, il a contribué à la création du FISIQ, le Fonds d’investissement solidaire international du Québec.

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