Bundelkhand, province de l’Uttar Pradesh, en Inde. Un gang intimide la région, qui est l’une des plus peuplées et des moins développées du pays. Craint particulièrement par les dirigeants et les policiers, il impose sa loi. Serait-ce une mafia organisée dont la richesse garantit l’impunité ? Non. Il s’agit plutôt du Gulabi Gang, aussi surnommé les Saris roses : un groupe de femmes vêtues de rose qui imposent la justice et exigent le respect de leurs droits, à coups de bâtons lorsque nécessaire. Ce qui distingue ce groupe des autres associations semblables de défense des droits humains et des femmes, c’est donc le recours occasionnel à la violence comme moyen d’action. Portrait de ce gang hors du commun.
L’initiative est née sous l’impulsion de Sambat Pal, fondatrice et leader du groupe. Mariée à douze ans et mère à quinze, cette dernière affirme s’être toujours battue pour ses droits. Plusieurs femmes de son entourage, pauvres et illettrées pour la plupart, viennent demander son aide face à des situations auxquelles elles ne voient souvent d’autre issue que le suicide.
Reconnue pour la force de son caractère et son entêtement, Sambat Pal prend la situation en main et exige le respect des droits et de la justice. Si une femme se soulève, soutient-elle, d’autres trouveront la force de se soulever avec elle. Un jour, lors d’une discussion avec un mari violent pour le sommer de respecter sa femme, elle affirme avoir réalisé que certains hommes ne comprennent que le langage de la violence : c’est donc à coups de bâton qu’elle fit passer son message. Ainsi, après plusieurs années d’organisation avec d’autres femmes pour imposer le respect de leurs droits, elles ont adopté le nom de Gulabi Gang et le port de saris roses en 2006.
Le Gulabi Gang s’organise et se soulève contre les violences et injustices faites aux femmes, mais aussi afin de faire régner la justice pour les pauvres, les intouchables et les plus vulnérables. Elles agissent pour rétablir les droits bafoués dans les cas de discrimination, de mariage d’enfants, de violence conjugale et sexuelle, d’arrestations et de détentions arbitraires, de corruption et de pots-de-vin, et plus largement, de violations des droits humains.
Outre la violence, qui reste marginale, leurs méthodes comprennent la médiation, la conciliation, la négociation, voire l’intimidation et l’humiliation publique. Cependant, tout n’est pas que menaces et confrontations : elles ont établi un dialogue avec les acteurs clés des communautés et certains dirigeants, avec qui elles collaborent afin de faire régner la justice ; tant que ceux-ci respectent la loi, font leur travail et n’acceptent pas de pots-de-vin… Leur démarche consiste d’abord à discuter avec les responsables de violations des droits humains, pour ensuite intensifier graduellement les moyens de pression si nécessaire pour se faire entendre.
La violence, bien qu’utilisée en dernier recours, demeure une option lorsque les autres moyens sont restés sans suite et que le rapport de force ne peut être renversé autrement. Questionnée au sujet de Ghandi et sa philosophie de la non-violence, Sambat répond qu’elle a énormément de respect pour le Mahatma, mais qu’elle n’a tout simplement pas le même style !
Après avoir battu un policier qui refusait de libérer un jeune homme intouchable détenu illégalement, le groupe s’est forgé une réputation qui impose maintenant le respect et parfois même la crainte. Bien sûr, cette manière de prendre la justice entre leurs mains ne plaît pas à plusieurs hommes de pouvoir. Sambat Pal a fait l’objet de chefs d’accusation, d’arrestations, d’un séjour en prison (où elle s’est apparemment organisée avec les autres détenues pour exiger une nourriture de qualité), allant jusqu’à recevoir des menaces de mort. Mais la dirigeante et le gang ne semblent avoir peur de personne et ne reculer devant rien.
Le Gulabi Gang a maintenant acquis une réputation internationale. Plusieurs reportages, documentaires et articles ont été réalisés depuis la création officielle du groupe en 2006. Sambat Pal a également publié un livre sur sa vie, « Warrior in a Pink Sari » et une page facebook est dédiée au groupe. Une association basée en France a aussi vu le jour dans le but de soutenir et d’amasser des fonds pour le gang en Inde. C’est ainsi que Sambat et ses acolytes ont pu ouvrir des écoles où filles et garçons des classes inférieures peuvent recevoir une éducation. Elles ont également mis sur pied des ateliers de couture pour fournir aux femmes les moyens d’assurer leur subsistance de façon indépendante.
S’il est clair que l’usage de la violence pour imposer la justice demeure discutable, le Gulabi Gang semble avoir trouvé une des seules voies qui leur étaient accessibles afin de faire respecter les droits des plus vulnérables. Instaurer un climat de peur n’est certes pas le moyen à privilégier pour arriver à ses fins, mais lorsque la justice ne sert que les plus puissants, la résistance pacifique n’a-t-elle pas ses limites ? Il est alors à se demander si l’usage de la violence dite « légitime » par les forces de « l’ordre » constitue un moyen plus acceptable et efficace de faire régner une véritable justice, ne pensons qu’aux abus à Montréal-Nord et au G20 de Toronto pour s’en convaincre. De plus, à voir la lenteur avec laquelle les droits des femmes ont été obtenus, à quel point ils sont encore et toujours bafoués un peu partout dans le monde et suite au recul qu’on observe face à des avancées si âprement réalisées, est-il surprenant de constater que certaines ont perdu patience ?