Rosali Nunes est une jolie Brésilienne de 21 ans qui a eu la malchance de naître avec la peau foncée dans une favela, un bidonville de Rio, au Brésil. Dans ce pays, où le taux d’inégalités sociales est le plus haut et où le racisme sévit durement, la voie du crime guette déjà la jeune fille à l’âge de 12 ans. C’est à cette époque, pourtant, qu’elle commence à s’investir au sein de l’organisme Afro-Reggae, composé d’intervenants sociaux spécialisés dans les arts de la scène. À travers le cirque, le chant, le théâtre et les spectacles de percussions, ces artistes engagés éduquent les jeunes des favelas et leur offrent une alternative au monde de la drogue, malheureusement trop populaire auprès des jeunes défavorisés. Grâce à Afro-Reggae, Rosali reçoit un petit salaire en tant que membre d’une troupe de théâtre qui promulgue la prévention du sida et des MTS à travers de courtes pièces d’une quinzaine de minutes.
« Si on donnait des conférences, les jeunes trouveraient le sujet trop lourd et ennuyant. On réussit à susciter de l’intérêt pour notre message parce qu’on le passe de façon dynamique, avec l’aide des chants, du théâtre et des percussions », explique Rosali, qui séjourne en ce moment à Montréal. Il y a plus d’un mois, elle a laissé le soleil et les rues de Rio pour venir travailler dans un loft sympathique de la rue Clark qui abrite la compagnie de théâtre d’intervention Mise au jeu. Dans un contexte très différent, les intervenants de Mise au jeu appliquent la même philosophie que celle prônée par les membres d’Afro-Reggae.
Faire bouger
Mise au jeu a été fondée, il y a 11 ans, par trois amis qui désiraient développer et mettre en application le rôle social que peut jouer le théâtre. Des trois membres fondateurs, Luc Gaudet est le seul à être resté à la barre du projet. Bien que la compagnie ait connu un certain roulement de personnel, elle a fait son chemin et sa place dans les milieux communautaires montréalais. Un constat qui ravit l’ancien étudiant en urbanisme. « Je me suis tourné rapidement vers le théâtre parce que l’urbanisme ne donne aucun pouvoir aux gens. Tout compte fait, tu es au service du pouvoir établi d’une entreprise et tu ne peux pas faire de lien avec la population. J’ai fait un stage dans un village aux Philippines. Au milieu de la rivière, il y avait un demi-pont. La compagnie japonaise en charge du projet avait arrêté les opérations et était repartie avec le budget. L’image de ce pont, coupé de moitié et qui ne peut atteindre l’autre rive, m’a marqué. » Luc Gaudet revient donc au pays avec le désir de faire bouger les choses ici, tout en offrant les outils nécessaires à d’autres gens pour qu’ils le fassent aussi.
De fil en aiguille, il crée Mise au jeu afin de se donner les moyens de « faire de la recherche et de la création pour voir comment le théâtre peut répondre à un besoin social ». Puisqu’il est difficile d’obtenir des subventions pour un organisme « trop artistique pour les programmes sociaux » et « trop social pour les programmes artistiques », Luc et ses acolytes décident de se financer en vendant leurs services à des écoles, des syndicats et des compagnies. Ils organisent des séances de théâtre forum qui consistent à présenter une pièce dans laquelle les employés ou les étudiants sont invités à prendre le rôle des acteurs afin d’exprimer ce qu’ils ressentent ou de trouver des solutions à des situations vécues fréquemment. « Ces ateliers visent à stimuler la prise en charge des gens dans leur milieu », explique l’homme de théâtre engagé. Les membres de Mise au jeu vendent également des pièces « prêtes-à-jouer », traitant d’enjeux sociaux et psychosociaux.
Passer à l’action
La compagnie d’intervention théâtrale participative réinvestit une partie des revenus générés par les pièces de commandes dans des projets plus expérimentaux. En ce moment, par exemple, Luc Gaudet travaille à un programme qui lui tient particulièrement à cœur : le théâtre législatif. « Ce concept est inspiré des pratiques d’Augusto Boal, homme de théâtre brésilien et président d’honneur d’Afro-Reggae, qui s’est vu confier le rôle de conseiller municipal. Plutôt que d’engager des adjoints politiques, il s’est tourné vers 10 comédiens. Ensemble, ils ont présenté des pièces à la population qui était invitée à y participer afin de concevoir de nouveaux projets de lois. » En collaboration avec la Ville de Montréal, Mise au jeu a créé Jeunesse Enjeux Montréal, une forme de théâtre législatif qui consiste à présenter des situations illustrant des impasses et à travers lesquelles les spectateurs sont invités à intervenir pour proposer des solutions. L’exercice amène les participants, en bout de ligne, à concevoir collectivement des réglementations municipales ou des lois visant à améliorer leurs conditions.
Même si Rosali affirme que le théâtre d’intervention est probablement plus utilisé au Brésil qu’ici, Luc soutient que l’intérêt est de plus en plus croissant. Au cours des deux dernières années, il a dénoté une forte hausse de la demande de ses services. Fini, les vieux discours. Voilà le temps de passer à l’action !