Les événements des dernières semaines laissent un goût terriblement amer des deux côtés. Le tout sécuritaire d’Ariel Sharon ne fonctionne pas. Les attentats suicides des extrémistes palestiniens en Israël se sont poursuivis voire intensifiés, tuant des dizaines de civils innocents. La guerre du jusqu’au boutisme contre le terrorisme, entreprise par les États-Unis depuis le 11 septembre, n’a fait que cautionner la politique d’Ariel Sharon dans les Territoires palestiniens occupés, où la violence de la répression, de l’exclusion et de la colonisation enfoncent davantage chaque jour les Palestiniens dans la désespérance. Un cercle vicieux.
Journalistes, militants, observateurs, hommes politiques se succèdent en Israël et Palestine pour constater et tenter de négocier. Dans l’ensemble, même si les positions ne sont pas toujours les mêmes, un constat demeure : l’intervention armée de Tsahal (l’armée israélienne) dans les Territoires, a réduit à néant le peu d’infrastructure que l’Autorité palestinienne avait réussi à construire au cours des dix dernières années. Le peuple palestinien est le grand perdant. Tous les services ont été détruits, jusqu’au ministère de l’Éducation qui a été complètement saccagé.
Strictement rien
Déjà au début de 2001, Franck Debié et Sylvie Fouet publiaient un ouvrage sur la situation au Moyen-Orient au titre évocateur : La paix en miettes. Israël et Palestine (1993-2000). Franck Debié est associé au laboratoire Espace et culture du CNRS (Paris I), et dirige les travaux du Centre de géostratégie de l’ENS qui portent sur l’étude des conflits, des frontières et des flux économiques dans les régions en crise. Rejoint à Paris, le géographe politique déclare d’un ton peu enjoué : « Au moment où nous avons écrit ce livre, il restait des miettes. [Aujourd’hui] de la carte territoriale d’Oslo, il ne reste strictement rien. Question autonomie, même chose. Toutes les infrastructures ont été détruites. La police, détruite. Il n’y a plus d’écoles, plus d’hôpitaux. Ils [les Palestiniens] ne sont plus en mesure de percevoir l’impôt. »
Le processus d’Oslo avait mis un terme à la première Intifada en 1993. C’était le début d’une longue négociation entre Palestiniens et Israéliens qui en juillet 2001 devait aboutir à une entente finale quant au statut des Territoires palestiniens géographiquement et politiquement. Pendant ce temps, une période dite intérimaire, où Israël devait se retirer progressivement des Territoires, prenait place. Tous les espoirs semblaient permis.
Était-t-il naïf de croire au processus d’Oslo ? « Ce n’était naïf de la part de personne », répond sans hésiter Franck Debié. Le géographe admet qu’il s’agissait dès le début d’un processus extrêmement difficile et complexe. Mais pour lui, c’est justement parce qu’Oslo était négocié de part et d’autre par des combattants qui étaient bien conscients qu’il n’y avait pas d’autre solution, que ce processus était sérieux et crédible.
Si le début de la conversation a commencé sur un ton désespéré, Franck Debié affirme que c’est la situation qui conduit au pessimisme. Pour l’auteur, trois acquis importants du processus d’Oslo demeurent : 1) la reconnaissance du peuple palestinien par Israël ; 2) la légitimité internationale de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ; et 3) la formation des deux côtés, mais surtout en Palestine, d’une « élite de la paix ».
Ras-le-bol
Toutefois, à la fin de 1998-1999 le ras-le-bol des Palestiniens vis-à-vis d’Oslo est à son comble. Pour eux, le processus est beaucoup trop lent, l’accord intérimaire peine à se mettre en place. Ils ont l’impression que cela ne mène à rien.
En juillet 2000, les deux camps doivent arriver à une entente définitive sur les Territoires. À cette date, à Camp David, le chef de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, et le premier ministre israélien, Ehoud Barak, se rencontrent en présence du président américain, Bill Clinton. Mais, les négociations achoppent sur trois points : les frontières, le droit au retour des réfugiés palestiniens de 1948, et le statut de Jérusalem-Est. L’accord n’est pas signé. Puis il y a eu l’épisode tristement célèbre et malheureux de l’esplanade des Mosquées, où Ariel Sharon, qui n’est pas encore premier ministre, « s’y promène ». Quelque temps après, Ariel Sharon est porté au pouvoir. Les colonisations dans les territoires palestiniens - qui s’étaient accentuées durant la période intérimaire - s’intensifient davantage, la répression et la violence atteignent un paroxysme.
Pour plusieurs, l’intransigeance de Yasser Arafat qui a refusé de signer l’accord de Camp David est la cause de la situation actuelle. Pour Franck Debié cependant, « Camp David a donné lieu à un mythe. Comme s’il y avait alors une proposition israélienne très intéressante ». Pour le géographe, c’est beaucoup moins à Camp David qu’à Taba, en janvier 2001, qu’existait une réelle proposition.
Entre autres, l’accord de Taba concédait la partition de Jérusalem en deux. Mais les colonies à l’est de Jérusalem demeuraient problématiques, et la question des réfugiés n’était toujours pas réglée, les deux camps restant sur leurs positions. « Arafat a trouvé juste politiquement, de ne pas signer quelque chose qui n’était pas final. C’était peut-être une erreur », laisse tomber Franck Debié.
Si celui-ci a visiblement beaucoup de ressentiment à l’égard de la politique d’Israël, il pose cependant un regard critique sur l’autorité palestinienne. « Avec le retard électoral palestinien, quelle est la légitimité de l’autorité palestinienne, quelle est sa représentativité à Gaza ? » se demande-t-il. Ajoutant : « Il ne lui en reste plus beaucoup ».
Et l’avenir ?
Que peut-on prévoir pour l’avenir ? Trois scénarios sont possibles selon l’auteur. Mais il est difficile d’évaluer avec justesse la situation, étant donné le manque d’information. Dans un premier cas de figure, on peut s’attendre à une militarisation complète de la crise. L’armée israélienne réoccupera alors de façon durable les Territoires palestiniens. Un scénario jugé catastrophique par le géographe. L’autre possibilité serait celle de la « stabilisation insupportable ». Israël se retire des principales villes, mais reste présent en Cisjordanie. Les Palestiniens ne peuvent plus travailler en Israël et n’ont plus accès à la Cisjordanie. L’autonomie palestinienne est affaiblie et l’économie inexistante. On assisterait alors à la création d’un énorme Gaza à l’intérieur de la Cisjordanie. « Et c’est sans doute le scénario le plus vraisemblable », selon Franck Debié.
Enfin, la troisième possibilité, c’est le retrait des Israéliens en même temps que la mise en place d’un cessez-le-feu par les forces de la paix des Nations unies. L’État palestinien serait alors sous la protection des Nations unies, alors que les frontières de ce nouvel État seraient négociées dans une nouvelle conférence internationale de deux ans. « C’est le scénario le plus lointain et le plus difficile à réaliser », conclut le géographe politique.
Trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. Mais sans doute pas pour s’inquiéter.