Opinion

Israël : Boycottage, Désinvestissement, Sanction

lundi 2 février 2009, par Naomi Klein

Il est temps. Plus que temps. La meilleure stratégie pour faire cesser l’occupation de plus en plus sanglante de la Palestine est qu’Israël devienne la cible d’un mouvement international de boycottage similaire à celui qui a permis de mettre fin à l’apartheid, en Afrique du Sud.

En juillet 2005, une vaste coalition de groupes palestiniens a jeté les bases d’un tel mouvement. Elle a appelé « toutes les personnes de conscience, partout dans le monde, à prendre des initiatives de désinvestissement à l’encontre d’Israël semblables à celles appliquées à l’Afrique du Sud pendant l’apartheid ». La campagne Boycottage, Désinvestissement, Sanctions (BDS) était née.

Le bombardement de Gaza suscite de nouveaux appuis à cette campagne planétaire de boycottage, y compris parmi les Juifs israéliens. Au début de l’agression, environ 500 Israéliens, dont de nombreux artistes et universitaires de renom, ont adressé une lettre aux ambassadeurs étrangers en poste en Israël. Cette lettre, qui établit un parallèle avec la lutte antiapartheid, réclame « l’adoption immédiate de sanctions et de mesures restrictives ». Pour les signataires, « le boycottage de l’Afrique du Sud a été efficace, mais on prend des gants blancs avec Israël. Le soutien international doit cesser ».

Malgré cet appel, plusieurs d’entre nous n’y adhèrent toutefois pas encore. Les raisons sont complexes, émotives et bien compréhensibles. Mais elles ne sont tout simplement pas justifiées, car les sanctions économiques est l’instrument le plus efficace dans l’arsenal non violent. Y renoncer est en quelque sorte se rendre complice des massacres commis par Israël. Voici les quatre principales objections à la stratégie Boycottage, Désinvestissement et Sanctions.

1. Des mesures punitives vont aliéner les Israéliens plutôt que les persuader
La communauté internationale a essayé ce que l’on appelle « l’engagement constructif ». Ceci a lamentablement échoué. Depuis 2006, Israël ne cesse d’intensifier ses actions criminelles : expansion des colonies, déclenchement d’une guerre contre le Liban et punition collective des Palestiniens de la bande de Gaza par un blocus agressif. Malgré cette escalade, Israël n’a fait l’objet d’aucune mesure de rétorsion, au contraire. Les États-Unis envoient des armes et trois milliards de dollars d’aide à Israël chaque année. Durant ces trois dernières années, ce pays a bénéficié d’une amélioration de ses relations diplomatiques, culturelles et commerciales avec d’autres pays alliés. Par exemple, Israël est devenu en 2007 le premier pays non latino-américain à signer un accord de libre-échange avec le Mercosur. Au cours des neuf premiers mois de 2008, les exportations israéliennes vers le Canada ont augmenté de 45 %. Un nouvel accord commercial avec l’Union européenne vise à doubler les exportations de produits alimentaires israéliens transformés. Et en décembre, les ministres européens ont bonifié l’accord de partenariat entre l’Union européenne et Israël, une faveur attendue depuis longtemps par Jérusalem.

C’est dans ce contexte que les dirigeants israéliens ont lancé leur guerre contre Gaza : ils savent que cela ne leur coûtera pas grand-chose en termes d’échanges commerciaux ou diplomatiques. Il est significatif que l’indice de la Bourse de Tel-Aviv ait augmenté de plus de 10 % après la première semaine de guerre. Lorsque la méthode de la carotte ne fonctionne pas, le bâton est nécessaire.

2. Israël n’est pas l’Afrique du Sud

Bien entendu ! La pertinence d’un boycottage de type sud-africain réside dans le fait que la tactique du BDS peut être efficace lorsque des mesures plus faibles (manifestations, pétitions, lobbying) ont échoué. Les traits affligeants de l’apartheid se retrouvent dans les territoires palestiniens occupés : les cartes d’identité différenciées, les permis de déplacement, les maisons rasées au bulldozer, les déportations de populations, les routes réservées uniquement aux colons israéliens. Ronnie Kasrils, un haut responsable politique sud-africain, révèle que l’architecture de la ségrégation en Palestine (Gaza et Cisjordanie) est « infiniment pire que l’apartheid ». Ce constat a été fait en 2007, avant qu’Israël commence sa pression tous azimuts contre la prison à ciel ouvert qu’est devenue Gaza.

3. Pourquoi accuser Israël alors que les États-Unis et
les pays occidentaux font la même chose en Irak et en Afghanistan ?

Le boycottage n’est pas un dogme, c’est une tactique. La raison pour laquelle la stratégie BDS doit être essayée est pratique  : dans un pays aussi petit et qui dépend autant du commerce, elle peut être efficace.

4. Le boycottage rompt la communication alors que nous avons besoin de dialoguer davantage

Je répondrai à cette objection par une histoire personnelle. Pendant huit ans, mes livres ont été publiés en Israël par une maison d’édition qui s’appelle Babel. Mais lorsque j’ai publié La stratégie du choc, j’ai voulu respecter le boycottage. Sur les conseils de militants du BDS, j’ai contacté un petit éditeur nommé Andalus, très impliqué dans le mouvement contre l’occupation israélienne et aussi le seul à publier en hébreu des livres de langue arabe. Nous avons conclu un contrat garantissant que tous les bénéfices du livre reviendront à Andalus, pas à moi. Je boycotte l’économie israélienne, pas les Israéliens. Mettre en place ce modeste plan a nécessité de nombreux appels téléphoniques et courriels entre Tel-Aviv, Ramallah, Paris, Toronto et la ville de Gaza.

Mon expérience est la suivante : si vous commencez une stratégie de boycottage, le dialogue s’accroît de façon considérable. L’argument selon lequel le boycottage nous couperait les uns des autres est illogique étant donné l’éventail de moyens de communication modernes dont nous disposons. Nous croulons sous les moyens de nous parler sans égard aux frontières nationales. Le boycottage n’interrompt pas la communication, au contraire.

Actuellement, plusieurs fiers sionistes sont prêts à répliquer qu’Israël produit plusieurs joujoux de haute technologie dans ses parcs de recherche, parmi les meilleurs au monde. C’est vrai, mais ils ne sont pas les seuls. Quelques jours après l’attaque de Gaza par Israël, Richard Ramsey, directeur d’une entreprise britannique de télécommunication spécialisée dans les services vocaux sur Internet, a envoyé un courriel à la firme technologique israélienne MobileMax : « En raison des actions du gouvernement israélien de ces derniers jours, nous ne sommes plus en mesure de travailler avec vous ou avec toute autre compagnie israélienne. »

Monsieur Ramsey a déclaré que sa décision n’était pas politique. « Nous ne pouvons pas perdre des clients, explique-t-il. C’est purement défensif sur le plan commercial. » C’est ce genre de calcul qui a conduit de nombreuses entreprises à se retirer de l’Afrique du Sud il y a vingt ans. Et c’est précisément ce calcul qui constitue l’espoir le plus réel de rendre enfin justice à la Palestine.


Article paru en anglais dans The Nation www.thenation.com, puis sur www.naomiklein.org

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