Islam et féminismes : la fausse antinomie

Entrevue avec Asmaa Ibnouzahir, auteure de Chroniques d’une musulmane indignée

mardi 1er mars 2016, par Aurélie Girard

Demandez à des gens autour de vous de mettre les mots "islam" et "féminisme" dans une même phrase. Nul doute que les résultats seront polarisés. Les deux notions sont-elles vraiment incompatibles ? Pour en discuter, nous rencontrons l’auteure Asmaa Ibnouzahir qui affirme que féminisme et religion coexistent, même si la jonction entre ces deux sphères est présentée comme paradoxale.

Question(s) technique(s)

D’abord, puisqu’il s’agit d’un exercice essentiel aux fin de la compréhension des notions abordées, nous parlerons de féminisme islamique. Pour l’auteure, le féminisme islamique n’est pas celui par lequel des femmes musulmanes se réclameraient simplement féministes, mais plutôt celui qui fait référence aux textes religieux. En effet, Asmaa Ibnouzahir affirme qu’il y a une place indiscutable pour les femmes en islam. Pour elle, si on croit en un Dieu juste qui promeut l’égalité, celui-ci sait faire une place aux hommes tout comme aux femmes. Une discrimination basée sur le genre ne saurait en aucun cas être cohérente à un Dieu qui se réclame juste. L’auteure ajoute également que « […] si des textes peuvent nous sembler être contre cette justice, il faut se pencher sur l’interprétation des textes et sur le contexte de celui-ci ». Rejeter le religieux sous la considération féministe est donc un leurre, ces deux éléments n’entrant pas en contradiction.

Le féminisme, une colonisation moderne ?

Pourquoi, alors, mettre le féminisme en opposition à l’islam (ou vice versa) ? En faisant appel au philosophe palestinien Edward Saïd, Asmaa Ibnouzahir rappelle toutes les tentatives qui, bien avant de lier féminisme et islam, ont « construit cet Autre comme étant complètement antinomique à l’homme occidental ». Dire que la présentation qu’on fait de ces deux enjeux se restreint au sujet du voile (ou autres dérives strictement esthétiques) serait d’une profonde malhonnêteté intellectuelle. Pourtant, c’est ce qu’on s’évertue à nous présenter dans les médias mainstream.

Mais pour quelle raison certains courants musulmans refusent toujours l’intégration de la notion de(s) « féminisme(s) » ? Malgré la popularité du mouvement auprès des femmes musulmanes depuis les années 1990, certains-es demeurent réfractaires à cette appellation, qui, rappelons-le, désigne l’équité économique, sociale et politique entre tous les genres. Selon les explications de l’auteure, le féminisme peut encore être perçu comme une « tentative supplémentaire de colonisation culturelle occidentale ». Aussi, tel que le rappelle Asmaa Ibnouzahir, les féminismes, reliés au principe de modernité (souvent perçu comme un indice de développement d’une société), peuvent être entendus comme une négation de la sphère religieuse. Pourtant, tel que mentionné, il est tout à fait possible de conjuguer sa foi et la pratique de celle-ci à l’équité entre les sexes. Ce refus de parler de féminismes serait donc, au sein de certains courants encore opposés à son utilisation, davantage « une mauvaise compréhension du féminisme en général » qu’un refus de considérer la femme comme égale à l’homme. Cette nuance s’affiche comme essentielle.

Héritage français

Cette obsession pour la femme musulmane ne date pas d’hier – il suffit de se rappeler les cérémonies de dévoilement en Algérie en 1958 lors de l’occupation française. La France, contrairement à la Grande-Bretagne, a établi une relation toute spéciale avec ses colonies : « elle [la France] a tenté de faire de ses colonies des sujets, en s’appropriant les corps des personnes et en les assujettissant ». De même, le discours ambiant qui tend à et considérer les femmes musulmanes comme des « victimes dépossédées » ou « des femmes soumises » s’inscrit dans cette dynamique postcoloniale. Cette manière de gérer les colonies a provoqué de grandes différences au niveau des dynamiques sociales. Tel que soulevé par Mme Ibnouzahir, « les femmes musulmanes dans les pays francophones n’arrivent pas à percer et à construire des projets qui font avancer leur(s) cause(s) de façon aussi marquée que celles dans les milieux anglophones, car elles sont encore dans cette espèce de lutte de justification ». Lorsqu’on prend un peu de recul, il est plus facile de voir que tous types de politiques identitaires, celles-ci souvent entendues comme un prolongement colonial, sont plus nocives et violentes envers les femmes de foi musulmane.

Violences et nécessité du dialogue

Asmaa Ibnouzahir trouve nécessaire de soulever les conséquences des actes de violence perpétrés sur les femmes dites racisées, ce depuis les événements suivants la Charte des valeurs québécoises. La responsabilité de la part des gouvernements et des médias est grande quant à l’absence de condamnation des idéologues qui font grandir la haine au Québec. Ces idéologues contribuent notamment à faire miroiter que les femmes musulmanes sont ainsi soumises, victimes et que « le voile est taché de sang »1. En somme que, pour enfin libérer ces femmes musulmanes, elles se devraient apatrides de leur foi. Et parce qu’évidemment, il n’y aura jamais d’autres façons d’être libres que par les voies dictées par le colon.

L’auteure rappelle que les choix très colorés d’invités, souvent dans une optique de sensationnalisme, propulsent des représentations difficilement équilibrée au sein des médias. Asmaa Ibnouzahir croit plutôt que nous devrions concentrer nos forces sur les impacts que peuvent générer une société ayant tenu des propos acharnés depuis autant d’années sur une partie de la population. Plus spécifiquement, l’auteure affirme que « […] la gravité de tous ces débats sur les femmes [musulmanes], notamment pour les questions de santé mentale, n’est jamais soulevée. On oublie que ce sont des humains qui sont derrière tout ça ».

Asmaa Ibnouzahir, teintée de calme et d’ouverture, tend à prôner l’inclusion et suggère des programmes qui permettraient aux femmes de foi musulmane de mieux conjuguer la pratique de leur religion à leur(s) vision(s) du ou des féminisme(s). Et ce, indépendamment de nos différences, de nos croyances et de nos origines.

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