
Or, mes invités en ont vite convenu, une fois le choc de l’horreur télévisée en direct amoindri par le passage des semaines et des mois, il a fallu reconnaître que la tragédie du World Trade Center ne fait en définitive guère le poids en comparaison d’autres tragédies infiniment plus meurtrières dont l’Histoire, ancienne ou récente, se fait le registre imperturbable. Ce n’est pas que ces milliers de vies civiles désintégrées sous nos yeux ne soient plus matière à indignation, au contraire. C’est plutôt qu’il faudrait -au contraire de la plupart des éditorialistes et commentateurs réagissant à chaud- replacer les événements en perspective et redonner à ces morts ni plus ni moins que leur valeur juste.
Certes, pareil constat froid et mathématique peut passer pour de l’insensibilité aux yeux des démagogues qui se plaisent à interpréter ces attentats terroristes comme une déclaration de guerre lancée contre l’Occident par des « barbares » qui en abhorrent les valeurs. Après tout, en attaquant la Mecque de l’économisme étasunien, ces « barbares » auraient provoqué ces représailles justifiées qu’on veut faire passer pour une nouvelle guerre sainte, cette guerre à l’échéancier flou en raison de laquelle Washington et ses alliés s’octroient le droit divin d’intervenir militairement selon leur bon vouloir en quelque contrée maléfique que ce soit.
De mémoire, il me semble que jamais l’ensemble des médias occidentaux ne s’est montré aussi unanimement complaisant envers la politique extérieure américaine. La dissidence se fait de plus en plus rare et quiconque ose critiquer l’arrogance belliqueuse étasunienne se voit taxé d’anti-américanisme go-gauchiste primaire ou soupçonné de se livrer à de la propagande pro-islamiste. Apparemment, ces observateurs ne trouvent rien à redire à la rhétorique du « deux poids deux mesures » illustrée par l’administration Bush envers le régime de Saddam Hussein, par exemple, condamné pour son refus d’obtempérer aux résolutions onusiennes alors que le gouvernement israélien maintient son occupation de la Palestine au mépris de résolutions similaires du conseil de sécurité depuis fort longtemps. Apparemment, ils gobent sans problème la chimérique nécessité d’instaurer en Irak la démocratie, noble idéal s’il en est, même si Washington s’accommode fort bien de son alliance avec des régimes féodaux comme celui au pouvoir en Arabie Saoudite.
Sans doute, en guise d’explication à ces paradoxes, les pourfendeurs de l’anti-américanisme primaire iraient jusqu’à affirmer sans rire que l’Oncle $am est grand et que George W. est son prophète...