Depuis la fin du régime militaire en 1985, la vie politique du pays est marquée par de grandes élections à tous les deux ans, l’une pour les municipalités, l’autre pour l’élection du Congrès national, du président et des gouverneurs d’État. Selon la constitution brésilienne, le vote est obligatoire, mais au-delà du rituel, la participation populaire est importante. Cette année, plus de 120 millions d’électeurs ont participé au premier tour de l’élection municipale. Un second tour aura lieu le 31 octobre pour les municipalités de plus de 20 000 habitants et où les candidats ont reçu moins de 50% des voix.
C’est le premier test électoral important depuis l’électon de Lula à la présidence de la République en octobre 2002. Pour mémoire, Lula a gagné ces élections en promettant le changement (la mudança) en faveur des pauvres, à travers de nouvelles politiques favorisant la croissance économique, la redistribution du revenu, la reconnaissance des droits et l’inclusion sociale. Les élections en cours maintenant, bien que confinées à la sphère municipale, sont également une manière d’évaluer le degré de satisfaction des gens par raport à la performance du gouvernement Lula. Les candidats du PT au niveau municipal étaient à la fois jugés sur la valeur de leurs propositions que sur leur statut de membres du parti au pouvoir à Brasilia. Le prochain rendez-vous électoral, au niveau national cette fois (y compris pour la présidence), est prévue pour 2006.
De ce point de vue, la victoire réalisée par le PT lors des élections municipales augure bien et témoigne de l’appui apporté par la population au gouvernement Lula. D’autre part, la force du PSDP, le principal parti de droite, a également été démontrée, témoignant du fait que le programme néolibéral est loin d’être disparu de la carte politique du Brésil et pourrait même faire un comeback pour les présidentielles de 2006.
L’avancée du PT
Le PT a fait le meilleur score de son histoire en enregistrant le plus grand nombre de votes par rapport aux autres partis lors du premier tour des élections municipales.
Selon les chiffres compilés par le Tribunal supérieur électoral, 15,1 millions de Brésiliens ont voté pour le PT, contre 14,1 millions pour le PSDB. Ceci représente 37% d’augentation par rapport au vote du PT lors des dernières élections municipales de 2000 (où il avait obtenu l’appui de 11,9 millions d’électeurs). Le PSDP pour sa part, a également connu une croissance de 16%. Le PT est de fait le premier parti national devant le PSDP, le PMDB et le PFL.
– Le PT a remporté 17.17% du vote, soit un total de 15.121.274 votes, ce qui représente 395 maires élus.
– Le PSDB a remporté 16,08% du vote, soit un total de 14.153.770 votes, ce qui représente 769 maires élus.
– Le PMDB a remporté 14.94% du vote, soit un total de 13.152.807 votes, ce qui représente 958 maires élus.
– Le PFL a remporté 11.97% du vote, soit un total de 10.536.529, ce qui représente 701 maires élus.
Fait à noter, le PT a remporté dès le premier tour plusieurs capitales d’État, tels Aracaju, Récifé, Belo Horizonte, Macapá, Palmas et Rio Branco. Les chances du PT pour le second tour sont également excellentes à Curitiba, Goiânia, Porto Alegre, Vitória, Porto Velho e Cuiabá, Belém et Fortaleza.
De toute évidence, le PT est maintenant devenu un parti réellement national, n’étant plus confiné dans ses bastions du sud-est. Selon le ministre Luis Dulce (secrétaire général du gouvernement), « nous avançons partout, de manière homogène. Nos résultats sont positifs dans toutes les régions du pays, bien que nos progrès dans le nord sont plus spectaculaires ». Pour le moment, le PT l’a emporté dans 395 municipalités, ce qui représente 111% d’augmentation par rapport à 2000 (187 maires du PT avaient été élus à l’époque). Plus de 3 689 conseillers municipaux ont été élus, soit une augmentation de 444% par rapport à 2000. Le PT est maintenant représenté dans les 24 plus grandes villes du pays, ce qui démontre une forte polarisation entre le parti de Lula et le PSDB, laquelle se poursuivra lors du deuxième tour dans plusieurs grands centres, notamment São Paulo, Santo André, Osasco, Contagem, Cuiabá, Diadema, Vitória, Cariacica et Ponta Grossa.
São Paulo
Face à la croissance du PT comme parti du changement, le PSDP s’est également consolidé comme le principal parti d’opposition. Cette polarisation est particulièrement visible à São Paulo où le candidat du PSDB, José Serra, a obtenu 43% du vote, contre 35% pour Marta Suplicy du PT (la mairesse sortante). C’est une situation qui a des répercussions dans tout le pays, compte tenu de l’importance économique et politique de la mégapole de São Paulo et le deuxième tour des élections dans cette ville sera regardé de très près comme indicateur de tendance pour les élections présidentielles de 2006.
Le PT s’est beaucoup investi dans la campagne de São Paulo, qu’il détenait depuis la dernière élection municipale de 1998. Une défaite du PT dans ce contexte serait une tache au blason en dépit des avancées dans le reste du pays. Selon les enquêtes, la performance de Marta est bien appréciée de la majorité des Paulistas, sur le plan de l’administration, du budget participatif, du transport public, de la santé et de l’éducation, de l’appui aux populations à faible revenu. En fait, la gestion concrète du PT à São Paulo a été peu critiquée par l’opposition de droite du PSDB qui a plutôt insisté sur l’importance de vaincre un gouvernement de gauche. La bataille sera très serrée lors du deuxième tour. Marta Supplicy affirme vouloir mobiliser les pauvres, qui ont le plus profité de son administration. La polarisation actuelle entre le PT et le PSDB traduit le clivage de classes, entre les élites traditionnelles du pays d’une part, et un projet de redistribution du revenu et d’inclusion sociale d’autre part. Selon le sociologue Émir Sader, ce qui est en jeu est la dispute entre le projet néolibéral de l’ex-président Cardoso d’une part, et le projet démocratique et populaire du PT et de la gauche d’autre part : « La droite pauliste s’est modernisée, elle s’appuie sur les grandes entreprises et l’establishment d’une manière qui ressemble à ce qui se passe contre le gouvernement d’Hugo Chavez au Venezuela. Il faut espérer que, comme au Venezuela justement, le vote populaire s’exprime massivement contre la dictature du marché et en faveur de la priorisation du social. Devant un tel dilemme, il n’y a pas de neutralité. »
En guise de conclusion
Les victoires du PT comme les avancées du PSDB inaugurent une nouvelle ère politique au Brésil. Le PT a démontré qu’il est capable d’attirer vers lui une masse critique et peut donc espérer garder le pouvoir pour les années à venir. Ce qui résulte d’un processus de consolidation du PT comme parti de gauche et aussi des alliances pragmatiques que Lula a conclues avec certains secteurs du centre. Le PSDP, pour sa part, se révèle en tant que leader du projet néolibéral incarné par le précédent président Fernado Henrique Cardoso. Ce sont ces deux forces colossales qui vont s’affronter en 2006 pour les prochaines élections présidentielles.
À partir de la victoire au municipal, le gouvernement Lula devra revigorer ses politiques sociales et effectuer un certain virage par rapport à certaines politiques qui ont priorisé les exigences du FMI et de la Banque mondiale, durant les deux premières années de son mandat. Lula au bout de la ligne sera jugé sur sa manière de changer la distribution des revenus, de promouvoir la réforme agraire, de régler le problème des sans-logis et des infrastructues déficientes un peu partout dans le pays. La victoire du PT représente une opportunité pour réaliser les promesses sociales du président Lula. Les transformations à plus long terme du pays seront également déterminées par l’évolution politique à venir dans la prochaine période. Selon l’Institut perseu Abramo, un « think-tank » lié au PT, il y a plusieurs facteurs qui permettent de rester optimistes : « La réduction des pressions économiques externes donnera au gouvernement Lula une plus grande marge de manoeuvre pour augmenter les dépenses sociales. D’autre part, la fragmentation de l’opposition entre conservateurs et néolibéraux est un obstacle pour la droite. Enfin, le PT se consolide comme coalition sociale, réunissant sa base historique composée de travailleurs et de mouvements sociaux, et s’ouvrant à de nouveaux secteurs. Nous avançons dans un processus de transition entre le paradigme néolibéral et un nouveau paradigme républicain, qui a commencé il y a plusieurs années au Forum social de Porto Alegre. »