En 2010, près de 128 000 personnes sont entrées illégalement en Union européenne (UE) en passant par la frontière gréco-turque, soit 350 par jour. Depuis 1988, plus de 15 000 personnes ont trouvé la mort en essayant de rejoindre l’Europe, en moyenne 2 par jour. Les pays européens emploient les grands moyens pour se « protéger » contre l’immigration clandestine, parfois même au mépris des droits humains. En janvier, la Grèce a annoncé la construction d’un mur sur une partie de sa frontière avec la Turquie, principale porte d’entrée des sans-papiers vers l’UE. S’agit-il de construire un mur pour se voiler la face et occulter sa responsabilité dans la mort de ces malheureux ? En déstabilisant les économies des pays dits en voie de développement, les pays européens provoquent chômage, augmentation de la pauvreté et faim sur place, forçant des milliers de personnes en quête d’un avenir meilleur à fuir au risque de leur vie…
Le respect des droits de l’homme : une valeur fondatrice de l’Union européenne pourtant ignorée en matière d’immigration
L’Union européenne a été fondée sur le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Pourtant, ces valeurs ne sont pas toujours respectées, notamment en matière d’immigration. Par exemple l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme qui garantit le droit de migrer et de quitter son pays, quelle qu’en soit la raison. Il semble que l’agence de contrôle et de surveillance des frontières extérieures de l’Union (Frontex) oublie l’existence de cet article lorsqu’elle refoule des bateaux de migrants sans même leur offrir la possibilité de demander l’asile politique. Cette action enfreint le principe de non-refoulement de la Convention internationale des réfugiés ainsi que les nombreuses conventions de respect des droits fondamentaux qu’a signées l’UE, l’obligeant à évaluer chaque demande d’asile des immigrants qui se présentent à ses frontières. Ces dernières sont très bien gardées et ont vu périr un grand nombre de personnes. Si le projet de mur en Grèce est controversé, il existe déjà des clôtures métalliques qui entourent Ceuta et Mellila, deux enclaves espagnoles situées au nord du Maroc. Elles ont été le théâtre de la mort de plusieurs Africains qui tentaient de les escalader et qui ont été fusillés par des soldats espagnols.
Par ailleurs, la signature en 2008 d’un traité d’amitié entre l’Italie et la Libye (par où transitent près de deux millions de clandestins tous les ans) n’est pas non plus très conforme aux valeurs européennes. Dans ce traité, le colonel Kadhafi s’était engagé à empêcher le départ de bateaux de migrants vers l’Italie si celle-ci investissait 250 millions d’euros par an en sol libyen, pendant 25 ans. Un an plus tard, le nombre de sans-papiers débarqués sur les côtes italiennes avait chuté de 90% et environ 850 migrants avaient été refoulés vers la Libye, au mépris de la Convention de Genève sur le droit des demandeurs d’asile. De plus, ces accords ont été signés alors que la Libye n’est ni signataire de la Convention de Genève, ni de la Convention de l’Union Africaine qui oblige à coopérer avec les organisations internationales sur les questions d’asile et de migration. Quant au colonel Kadhafi qui est tant critiqué aujourd’hui pour son manque de respect des droits de l’homme, il ne les respectait pas plus en 2008, les personnes refoulées étant déjà parquées dans des centres d’accueil surpeuplés, dans des conditions d’hygiène dégradantes, d’où on a rapporté de nombreux cas de détention et de traitements brutaux. Ce type de camps a été construit partout en Europe et dans plusieurs pays frontaliers, les transformant ainsi en rempart contre l’immigration clandestine.
Ces mesures de contrôle des frontières ont un effet pervers car ils obligent les candidats à l’immigration à emprunter d’autres routes encore plus dangereuses, comme le souligne le porte-parole de l’organisation internationale pour les migrations (OIM), Jean Philippe Chauzy. Et pour ceux qui ont réussi à passer à travers les maillons du filet, les pays européens ont mis en place plusieurs moyens d’expulsion, qui font suite à l’enfermement dans des centres de rétention surpeuplés. Par exemple, des avions qui desservent même l’Afghanistan ont été affrétés par le Royaume-Uni et la France en octobre 2009 pour ramener les sans-papiers dans leur pays natal. Selon la Commission européenne, le fait que l’Afghanistan soit en guerre ne justifie pas l’octroi automatique d’une protection internationale pour ses ressortissants, dont les demandes d’asile doivent être étudiées au cas par cas et selon des critères très stricts. Ces Afghans peuvent d’ailleurs s’estimer heureux, car eux au moins se sont fait refouler vers leur pays d’origine, ce qui n’a pas été le cas pour tout le monde. Plusieurs accords de réadmission des migrants clandestins vers les pays d’origine ou de transit ont aussi été signés et dans certains pays, comme en Italie, l’immigration a même été criminalisée : les sans-papiers y risquent une amende allant de 5 000€ à 10 000€ et même les personnes qui leur louent un logement ou les hébergent risquent trois ans de prison !
Si les pays européens considèrent l’immigration clandestine comme une menace contre laquelle il faut se protéger, ils ont une part de responsabilité dans la pauvreté et la sous-alimentation qui, à leur tour, provoquent chaque année la fuite de milliers de personnes en quête d’un avenir meilleur au risque de leur vie…
La destruction des économies locales ne fait qu’augmenter l’immigration clandestine
En 2000, 189 nations ont défini huit objectifs millénaires pour le développement (OMD), dont le premier était de réduire de moitié la pauvreté et la faim d’ici 2015. Si en 2010 le nombre de personnes sous-alimentées a baissé, il reste encore plus élevé que le niveau d’avant-crise économique. 89% des personnes sous-alimentées vivent dans des pays dits en développement et elles représentent 30% de la population en Afrique subsaharienne, région dont sont issus de nombreux immigrés illégaux. Le lien entre la faim dans le monde et l’immigration clandestine en Europe est donc évident, et ce alors que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture assure que la terre produit assez pour nourrir tous les êtres humains. La faim dans le monde peut être expliquée tant par des facteurs naturels détruisant la production (sécheresses, virus, inondations…) que par des conflits qui font fuir les agriculteurs et augmentent les dépenses publiques, ou des spéculations boursières sur les aliments de base qui font monter leurs prix… Cependant, l’Europe et les pays industrialisés en général ont eux aussi une part de responsabilité dans la faim dans le monde.
Par exemple les subventions à la production et à l’exportation que l’UE verse à ses agriculteurs. Celles-ci entraînent une surproduction, le surplus étant revendu sur les marchés africains à des prix inférieurs de 50 % par rapport à la production locale. Il devient donc moins cher d’importer des produits européens que de produire sur place. Ce dumping agricole détruit systématiquement des agricultures vivrières africaines. Les biocarburants, tant loués par l’UE que celle-ci aimerait qu’ils couvrent 10% de ses besoins en carburant d’ici 2020, sont eux aussi lourds de conséquences. L’essence rapportant plus que la nourriture, de plus en plus de firmes convertissent leur sol productif pour l’alimentation en terre à produire des « biocarburants » qui, ironiquement, sont produits à partir des trois plantes les plus modifiées génétiquement, à savoir le maïs, le soja et le colza. L’utilisation de semences modifiées a non seulement plongé des milliers de petits paysans dans la pauvreté, elle a aussi perturbé le cycle agricole qui permettait aux agriculteurs d’être auto-suffisants en stockant une partie des semences biologiques pour en tirer la prochaine récolte.
Le surendettement est lui aussi largement responsable de la pauvreté en Afrique puisqu’une grande partie du budget des pays pauvres est utilisée pour rembourser leur dette alors qu’elle pourrait être investie dans leur développement. Les prêts du fonds monétaire international (FMI) et de la Banque Mondiale, sensés financer le développement, ne font qu’augmenter le niveau d’endettement. Au nom du libre-échange économique, ils sont accordés à condition que les pays bénéficiaires appliquent ces fameux programmes d’ajustement structurels qui entrainent notamment l’ouverture des frontières aux investissements étrangers. Or, sans protection douanière, les producteurs locaux ne peuvent concurrencer les produits subventionnés en provenance de l’UE ! Ruinés, les habitants tentent de fuir vers l’Europe au péril de leur vie, les pêcheurs vendent leurs barques à des passeurs - ou le deviennent eux-mêmes -, avec des barques qui ne sont généralement pas faites pour naviguer en haute mer… La boucle se referme et on connaît la suite…
Pour éviter que des milliers de personnes affamées échouent sur les côtes méditerranéennes, Jean Ziegler, membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, a proposé en 2007 de reconnaître une nouvelle catégorie de réfugiés : ceux de la faim. Les ressortissants issus de pays dans lesquels sévit une grave crise alimentaire seraient alors acceptés temporairement dans les autres pays, ce qui leur éviterait de risquer leur vie en essayant de passer les frontières illégalement. L’idée est bonne, mais il ne faut pas oublier que nous aussi, citoyens du monde, pouvons agir. S’il est difficile de s’attaquer à des firmes dont le chiffre d’affaires dépasse le produit intérieur brut (PIB) de certains pays, nous pouvons refuser d’acheter leurs produits ou tout produit transgénique dangereux pour la santé et entraînant la ruine des petits agriculteurs ; nous pouvons faire pression sur nos gouvernements afin qu’ils effacent la dette des pays pauvres ; nous pouvons convaincre nos gouvernements de ne pas réduire le choix de milliers de personnes à mourir de faim ou mourir noyés… Les possibilités sont nombreuses, à nous de choisir la solidarité en action !