Il ne s’arrête pas au feu rouge

mercredi 1er mai 2002, par Michel WARSCHAWSKI

Il ne s’arrête pas au feu rouge. Tel est le nom de la biographie qu’a écrite Uzi Benzimasn sur Sharon, il y a plus de 15 ans.

J’ai le sentiment d’être, avec tous mes compatriotes israéliens, dans un autobus qu’un chauffeur ivre et fou conduit a 180 à l’heure. Ce bus écrase tout sur son passage, ne s’arrête à aucun feu rouge, et, ayant perdu ses freins, il nous mène avec certitude vers le précipice.

Les freins ont craqué, les plombs ont sauté. C’est la fureur destructrice et meurtrière qui ne connaît aucune limite. Aucune. On tire sur les ambulances et les équipes médicales, on tire sur les églises et les mosquées, on tire sur les convois consulaires, on tire sur les journalistes. Non seulement on renvoie dans leur pays, comme de vulgaires voyous, des citoyens européens ou américains venus voir de leurs propres yeux la situation dans les Territoires palestiniens occupés, mais on fait de même pour une délégation ministérielle de l’Union européenne. Surtout, on assassine des hommes d’une balle dans la tête (six au moins à Ramallah), on détruit à coups d’obus et de missiles des rues entières, avec les habitants encore dans les maisons, on torture dans les camps de détention ou des milliers de civils ont été raflés. Combien de morts ? [Des centaines ?] Plus encore ? Dans le camp de réfugiés de Jenine, en tout cas, il s’agit d’un véritable massacre, comme à Kibyeh en 1953, comme à Sabra et Chatila en 1982. Tous made by Sharon.

Folie

D’où vient cette folie destructrice ? En ce qui concerne le gouvernement, c’est le résultat d’une idéologie qui mélange ultranationalisme, haine des Arabes, et intégrisme messianique (la présence de Shimon Peres ne faisant que confirmer à quel point se sont trompés tous ceux qui, dans la Sociale démocratie internationale, ont cru que les travaillistes étaient autre chose que des nationaux-socialistes). Leur guerre est une guerre sainte pour Erets Israël, vide d’Arabes. En ce qui concerne le peuple israélien, et en particulier ces centaines de milliers d’hommes et de femmes qui ont, pour un temps, soutenu le processus de paix, il s’est - très facilement, il faut le reconnaître - laissé mystifier par le discours d’Ehoud Barak, après le fiasco de Camp David, qui affirmait qu’à Camp David il avait réussi à prouver que les Palestiniens n’avaient jamais voulu la paix avec Israël, et qu’en fait ce n’était qu’une manœuvre subtile pour détruire Israël. La victoire de Sharon était le corollaire d’une telle argumentation, à laquelle il suffisait d’ajouter que pour sauver son existence, Israël n’avait pas d’autre choix que de ramener la Palestine - voire peut-être, le monde arabe tout entier - à l’âge de Pierre, comme Nixon avec le Vietnam.

À part un mouvement de la paix qui lentement se réveille d’une collaboration plus ou moins active avec la politique terroriste de Barak puis de Sharon, la population israélienne est pour l’instant unie derrière son gouvernement d’Union nationale et son armée, et croit véritablement que c’est « eux ou nous », et qu’il est impératif de revenir aux comportements et aux réflexes des années 50, quand Israël était entièrement mobilisée dans sa guerre contre le monde arabe. Comme si rien ne s’était passé depuis la guerre de 1973, ni la venue de Sadate, ni la paix avec l’Égypte, ni la Conférence de Madrid, ni le processus d’Oslo, ni la paix avec la Jordanie, ni le plan saoudien. Une véritable psychose schizophrénique et meurtrière, mais aussi suicidaire.

Foulées, violées

Les conventions de Genève sont foulées aux pieds, les lois de la guerre sont violées, les normes de civilité internationales bafouées. En toute impunité : aucune sanction sérieuse n’a été prise par le Canada ou les États européens, aucune mesure de représailles. Quant aux États-Unis, ils soutiennent Sharon, qui donne l’exemple de la façon dont doit être menée la croisade du monde civilisé contre la barbarie des peuples.

Certes, les sociétés civiles se sont réveillées. De Rabat où plus d’un million de personnes ont manifesté leur solidarité avec les Palestiniens à Berkeley (Californie), de Bruxelles où plus de 15 000 personnes ont protesté contre les crimes de guerre, à Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Le Parlement européen s’est fait l’écho de ce réveil en appelant à des sanctions économiques contre Israël, et le président Moubarak en rappelant son ambassadeur de Tel-Aviv. Mais c’est bien trop peu, et tragiquement tard.

La folie meurtrière du gouvernement Sharon et de son armée, la schizophrénie belliciste de la majorité du peuple israélien exigent une intervention internationale forte, immédiatement. Si celle-ci tarde, la Palestine cessera d’exister, Israël connaîtra le sort des combattants de Massada, et le Moyen-Orient tout entier deviendra un champ de ruines radioactives. Exagération apocalyptique ? Non, il suffit de se souvenir qu’ils ne s’arrêtent pas au feu rouge.


Michel Warschawski, Israélien, est journaliste et militant pour la paix de la première heure, en Israël et Palestine.

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