Le 27 février nous apprenions dans la Gazette officielle de l’Assemblée nationale la volonté de votre gouvernement de resserrer les règles d’obtention d’aide supplémentaire à certaines catégories de bénéficiaires de l’aide sociale. Le projet de règlement prévoit ainsi réduire les prestations d’aide sociale des 55 à 58 ans, des familles avec enfants de moins de 5 ans et des bénéficiaires de services en toxicomanie. Ce choix du gouvernement, car il s’agit bien d’un choix, et non d’une obligation imposée par le dieu tout puissant des contraintes économiques, vous déshonore et nous avilit tous. Il nous abaisse, car il demande à chacun d’entre nous de tolérer l’inadmissible : l’humiliation des plus pauvres de notre société par les institutions mêmes qui doivent les protéger.
Qu’est-ce que la pauvreté ? Il n’y a pas de définition unique de la pauvreté, ni un concept précis capable de cerner ce phénomène, et ce pour une raison évidente : la pauvreté est une construction sociale. Elle dépend donc de la manière dont une société la rend possible. Elle dépend du seuil de tolérance d’une société donnée à l’égard des souffrances sociales. Trop souvent, nous interprétons la pauvreté comme un phénomène marginal et contingent : il sera dès lors jugé pertinent de lutter contre elle avec des moyens parallèles et ponctuels, comme celui de la charité. Or, la pauvreté est la conséquence logique, inéluctable, d’une justice sociale défaillante. En ce sens, elle n’est pas le fait du hasard ou de la mauvaise chance. Il est tout à fait possible de l’éradiquer. En voulant couper dans l’aide sociale, le gouvernement du Québec sait très bien ce qu’il fait : il dégrade les conditions d’existence déjà précaires des plus vulnérables d’entre nous.
Il y a une dizaine de jours, nous apprenions également que Québec n’entendait pas prendre la relève d’un programme fédéral de lutte contre l’itinérance. À force de mépriser les plus démunis, nous ne sommes pas seulement aveugles face à leur condition : nous nous aveuglons aussi sur ce que nous sommes. Et pour être franc, aujourd’hui, nous ne sommes pas très beaux à voir. Ni la marginalité ni la charité ne sont les choix des pauvres, elles sont plutôt les pauvres choix des membres d’une communauté incapable de solidarité. Madame Marois, Madame Maltais, est-ce bien ce mandat qui vous a été confié ? Ces politiques reflètent-elles vraiment nos aspirations ?
L’exigence de justice dans une société décente, pour employer l’expression du philosophe Avishai Margalit, est une exigence d’égal respect. Une société décente s’affirme lorsque ses institutions défavorisent les sentiments d’humiliation vécus par les citoyens. Certes, à l’impossible nul n’est tenu : nous ne pouvons demander à aucun gouvernement, ni même à aucune institution, de supprimer toutes les humiliations. En revanche, nous pouvons au moins espérer de celui-ci qu’il ne les provoque pas. Voilà pourquoi nous sommes nombreux à nous opposer aux réformes de l’assurance-emploi du gouvernement fédéral. Voilà pourquoi nous dénonçons du même souffle ce projet de règlement dont le principal effet sera d’exclure davantage les plus démunis de notre société. Plus encore, nous attendons de notre gouvernement un investissement substantiel en matière de justice sociale. Le seul moyen de nous redonner un minimum de dignité sur ces enjeux sociaux, le seul qui soit en mesure de vérifier la raison d’être d’une communauté politique, passe par un soutien actif au développement des individus. Et pourtant, malgré tout, le gouvernement persiste à couper dans les programmes d’aide sociale. De plus, les organismes communautaires en santé et services sociaux attendent toujours les sommes sans lesquelles leur mission est compromise.
Pourquoi la pauvreté est-elle une si grande infamie ? Car elle n’a aucune raison valable d’exister. Il est inconcevable qu’une société comme la nôtre ferme les yeux devant la misère, l’insécurité, et l’abandon. Pourquoi la pauvreté est-elle une si grande injustice ? Parce qu’elle est la conséquence la plus odieuse et la plus perfide des inégalités sociales, qui elles-mêmes résultent de rapports de force arbitraires au sein de notre société. Ces mêmes inégalités entraînent des formes de domination où les individus ne commandent plus leur propre vie, mais dépendent du bon vouloir d’autrui. Ils ne s’appartiennent plus eux-mêmes puisqu’ils ne sont pas seulement jugés membres à part entière de notre communauté. Inversement, seule la solidarité permet à chacun d’être maître de sa personne.
Je me permettrai, pour conclure, une remarque sur les actions générales de votre parti depuis qu’il est au pouvoir. Le 4 septembre dernier, le PQ a remporté de justesse les élections provinciales. Quelques semaines auparavant, j’étais de ceux et celles qui appelaient les partis d’opposition à faire une alliance provisoire afin de chasser le Parti Libéral et de bloquer la montée de la Coalition Avenir Québec. J’ai aussi dit et redit la nécessité de voter stratégique, toujours pour les mêmes raisons. En parallèle de ces interventions sur la question électorale, nous avons été nombreux à signaler l’importance d’un véritable débat de fond sur notre avenir social. Qu’en est-il maintenant ?
Que se passe-t-il au sein de votre gouvernement ? Avez-vous la moindre idée de la direction que vous entendez suivre ? Et si oui, les velléités sociales-démocrates de votre parti étaient-elles de la poudre aux yeux ? Presque malgré moi, je considère toujours que le PQ actuel vaut mieux que le Parti libéral… à la condition que le PQ y croit lui-même. Aux dernières élections, Pauline Marois refusait l’idée d’une coalition, même provisoire, sous prétexte que le PQ en était déjà une. À l’heure actuelle, rien n’est moins sûr. Le PQ flirte avec sa droite sans craindre d’égarer en cours de route le peu qu’il lui reste à gauche, voire au centre. Pire encore, le PQ ne semble pas envisager de perdre les prochaines élections pour cette même raison. Or, à force de craindre la CAQ et le Parti libéral, il fourbit les armes de ses adversaires, car à droite, l’électeur moyen préfère toujours l’original à la copie.