Chemin faisant, l’enquêteur visitera les environs de Tchernobyl, où prospère une nature parfois étonnante. Il constatera que le no man’s land qui sépare les deux Corées, depuis plus de 50 ans, constitue le dernier refuge de plusieurs espèces d’oiseaux en voie de disparition. De même, il s’apercevra qu’une station balnéaire grecque de Chypre, abandonnée depuis la guerre de 1974, constitue un laboratoire à ciel ouvert pour mesurer l’entreprise de destruction accomplie par le temps. Weisman s’intéressera aussi au grand tourbillon du Pacifique, une zone de la grandeur du Texas que les océanographes ont rebaptisé « la grande décharge du Pacifique », parce que tous les détritus des pays environnants finissent par y aboutir. On peut s’y promener pendant des jours sur une mer entièrement recouverte de détritus de plastique.
D’accord, vous préfériez ne pas savoir tout cela. Mais puisque vous avez eu le courage de pousser votre lecture jusqu’ici, autant vous prévenir. Selon Weisman, la plupart de nos maisons modernes ne tiendraient pas plus de quelques années sans entretien. Surtout en zone tempérée. Au bout de 20 ans, le Canal de Panama se refermerait, réunissant les deux Amériques. Au bout de 300 ans, presque tous les ponts du monde se seraient effondrés, peu importe les recommandations de la Commission Johnson. La plupart des villes construites dans le delta de fleuves, notamment Houston, auraient été complètement englouties. En définitive, 500 ans après notre disparition, dans les régions tempérées, la forêt aurait retrouvé son aspect d’avant les début de l’activité humaine.
Et ainsi de suite. En fait, les derniers témoins de notre existence éphémère seront sans doute nos émissions de radio et de télévision, qui continueront leur voyage sous une forme très fragmentée dans le vide sidéral. Difficile à croire, mais il restera sans doute des traces de Symphorien ou de la Fureur bien après la disparition des grandes Pyramides...
Ça vous fait mal ? Dites-vous que vous aviez été prévenus. Au départ, vous préfériez ne pas savoir tout cela, rappelez-vous.
Malgré une traduction parfois laborieuse, et une conclusion aux accents un tantinet lyriques, l’enquête de Weisman constitue un véritable modèle du genre. Une magistrale démonstration. On en ressort un peu sonné, avec la conviction que nous avons bien davantage besoin de la Terre que celle-ci a besoin de nous.
Jean-Simon Gagné