Depuis leur élection en 2006, les conservateurs de Stephen Harper ont profité de trois mandats successifs pour mettre en œuvre leur agenda néolibéral. Leur programme est fondé sur une vision où la priorité des pouvoirs publics est de s’effacer devant les entreprises et laisser libre cours aux forces du marché. Le gouvernement Harper a notamment réduit les impôts des grandes sociétés, aboli de nombreux programmes sociaux et fait de la lutte au déficit budgétaire une obsession malgré une économie fortement fragilisée par la crise économique de 2008.
Plus récemment, il a restreint l’accès aux prestations d’assurance-emploi, a attaqué les fonds de travailleurs malgré un rôle central dans le paysage économique et a annoncé la fin de la livraison du courrier à domicile pour la population canadienne. Aujourd’hui, le gouvernement Harper annonce son intention d’attaquer le mouvement syndical par des exigences bureaucratiques paralysantes et en frappant au cœur de son financement en remettant en question la formule Rand.
Ce gouvernement a fait suffisamment de dommages. L’érosion du tissu social et le maintien des privilèges des mieux nantis doivent cesser.
Depuis l’union de la droite au Canada par la fusion du parti Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur pour former le Parti conservateur en 2003, la gauche a résisté en développant des alliances et en mettant en place ses propres coalitions. La création du syndicat UNIFOR l’an dernier ou la formation du Front commun intersyndical des secteurs public et parapublic offrent des moyens pour coordonner les luttes communes et faire avancer les objectifs des travailleuses, travailleurs et de la classe moyenne en général.
Le mouvement Idle No More a aussi réussi, par une vaste coalition des membres des Premières nations, à remettre les revendications territoriales et les droits autochtones à l’avant-scène des enjeux politiques fédéraux.
Au Québec, les associations et fédérations étudiantes ont su unir leur voix au printemps 2012 pour galvaniser l’appui populaire et démontrer que la hausse des frais de scolarité était une question de justice sociale. Le mouvement est ainsi parvenu à faire tomber le gouvernement de Jean Charest, qui a lui-même été contraint de quitter la politique active.
Aujourd’hui, une nouvelle question stratégique interpelle les groupes sociaux, communautaires et syndicaux : quelle serait la manière la plus sûre de nous débarrasser de Stephen Harper et de ses politiques néolibérales pour de bon en 2015 ? Un plan d’action commun est-il possible ? Sans abandonner la singularité de nos luttes et la diversité de nos approches, nous est-il possible de décupler notre rapport de force en bâtissant un front commun coordonné ? Si un tel front commun est possible, quel enjeu clé permettrait de galvaniser les mouvements sociaux et d’atteindre la victoire ?
Le présent texte (en trois parties) s’adresse aux militantes et aux militants des mouvements sociaux, syndicaux et environnementaux, notamment ceux et celles qui participeront au Forum social des peuples en août 2014 à Ottawa. Il leur propose de faire de la lutte aux changements climatiques un outil pour chasser Harper et pour donner un nouveau souffle aux luttes actuelles et au combat historique de la société civile en faveur de la justice sociale. Le Forum social des peuples prévu en août prochain à Ottawa offre une occasion unique pour définir des pistes d’action et de mobilisation dans un tel but. Le présent document propose une réflexion préparatoire à ce rendez-vous qui peut être un moment charnière dans le développement d’un tel mouvement.
Engager un mouvement unitaire de lutte contre les changements climatiques constitue une contribution dont le but vise évidemment à minimiser les dommages catastrophiques liés à un nouveau climat. De plus, pour y arriver, ça exige de développer des moyens qui correspondent parfaitement à ceux revendiqués historiquement par les mouvements syndicaux, sociaux et communautaires.
Comme Naomi Klein nous y invite dans un important discours prononcé lors du congrès de fondation d’UNIFOR en septembre dernier, les changements climatiques ne sont pas qu’une préoccupation de plus à ajouter à la liste des revendications sociales. C’est un outil puissant et structurant, qui permet d’arrimer nos diverses luttes actuelles et de leur donner encore plus de force. À nous de ramasser cet outil et de s’en servir.
Le péril climatique
Depuis le premier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) en 1990, il est clair que les émissions de gaz à effet de serre provoquées par la combustion de pétrole, de gaz et de charbon bouleversent le climat mondial. Les changements climatiques ont même déjà commencé, avec une augmentation de 0,8°C par rapport à l’avant-révolution industrielle. Le consensus scientifique nous indique que les sociétés humaines sont les principales responsables de ces bouleversements.
Selon le dernier rapport d’évaluation du Groupe de travail II du GIEC, dépasser le seuil sécuritaire de 2°C d’augmentation provoquerait une série d’effets dévastateurs et irréversibles, ailleurs dans le monde comme au Canada : ouragans à répétition, inondations, crues printanières, feux de forêt et autres catastrophes.
Radio-Canada rapportait récemment que les inondations de l’Alberta de juin 2013, les pires de toute son histoire, ont entrainé un bilan tragique de 4 décès, de 100 000 personnes évacuées de leur domicile et ont causé des dommages matériels variant de 2 à 6 milliards $ selon les estimations. Le même été, des inondations à Toronto ont généré près d’un milliard $ de dommages, tandis que le Nord du Québec a été ravagé par des feux de forêt aux proportions grandioses, réduisant en cendres une superficie de près de 2 millions d’hectares.
Réparer les dommages colossaux générés par les changements climatiques pourrait accaparer une portion toujours grandissante des revenus de l’État, qui serait alors contraint de se détourner progressivement de sa mission de financer des programmes sociaux.
Bien que l’on ne puisse dire que tel ou tel évènement précis soit attribuable uniquement aux changements climatiques, il est établi que ces catastrophes naturelles s’intensifieront et deviendront monnaie courante si nous ne freinons pas nos émissions de gaz à effet de serre. À l’heure actuelle, le monde se dirige non pas vers 2°C d’augmentation, mais plutôt vers une augmentation vertigineuse de 4°C à 5°C, prévient l’Agence internationale de l’énergie.
Le gouvernement Harper dans le déni
Pendant ce temps, le gouvernement Harper refuse de reconnaitre l’urgence du problème et d’offrir des solutions pour assurer le respect de cibles climatiques crédibles. Au contraire, il s’est attaqué aux processus qui devraient normalement protéger l’environnement et permettre d’être bien au fait de la situation.
Par son projet de loi omnibus C-38, Il a réduit nettement les évaluations environnementales des nouveaux projets de sables bitumineux et d’autres projets fortement émetteurs. Il a remis en question l’intégrité territoriale des Premières nations dans son deuxième projet de loi mammouth C-45. Il a ensuite cherché à déstabiliser les groupes environnementaux en leur faisant subir des vérifications comptables disproportionnées et une surveillance digne d’un roman de Georges Orwell. Alors que les règles pour limiter les émissions du secteur du pétrole et gaz se font toujours attendre, le gouvernement Harper accorde année après année des subventions de 1,4 G$ aux pétrolières.
En plus, les scientifiques qui travaillent au sein du gouvernement sont assujettis à des contrôles démesurés et prohibitifs qui leur empêchent de faire état de la menace et de discuter des résultats de leurs recherches en public. Dans le régime autoritaire du gouvernement Harper, le non-respect des engagements climatiques est la norme et l’opacité empêche la population d’y voir clair.
Comme le gouvernement Harper a une bonne partie de sa base électorale dans l’Ouest canadien, fortement attachée aux sables bitumineux, il est impossible que le Canada prenne au sérieux ses responsabilités dans la lutte aux changements climatiques sans un changement de gouvernement. Les Conservateurs sont tellement attachés à la croissance des sables bitumineux pour réaliser leur programme économique extractiviste que plusieurs d’entre nient carrément que les changements climatiques soient un réel problème. Si la société civile décide de s’engager fermement dans la lutte aux changements climatiques, les autres partis, s’ils souhaitent prendre la place de Harper, n’auront d’autre choix que d’adapter leur plateforme pour répondre aux aspirations de la société civile.
Mais au-delà de la stricte question de l’alternance des partis, cette mobilisation autour de la lutte aux changements climatiques aura des répercussions qui iront bien au-delà des élections d’octobre 2015. Dans un système représentatif comme le nôtre, fonctionnant par le scrutin uninominal, l’idéal démocratique ne peut et ne doit pas être réduit à la seule dimension électorale. Les élections peuvent néanmoins constituer une formidable occasion de mobiliser la population autour d’un projet social porteur de changements profonds.
LIRE LA DEUXIÈME PARTIE : Le programme climatique est un programme progressiste
LIRE LA TROISIÈME PARTIE : Pour une stratégie d’action commune
Alternatives participe à l’organisation de la rencontre préparatoire de l’Assemblée des mouvements sociaux sur les changements climatiques (RSVP) le 6 juin prochain à Montréal.