Afin d’orienter leurs efforts de reconstruction d’Haïti, les organisations multilatérales sous l’égide du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque mondiale et de la Commission européenne ont réuni, pour consultation, des experts haïtiens et étrangers pour sortir Haïti de la crise, et déterminer les priorités de développement à court, moyen et long terme.
Les discussions ont débuté en mars, et le 6 mai des recommandations ont été traduites en plan d’action. Il s’agit du Cadre de coopération intérimaire (CCI) qui propose pour une période de deux ans une série de mesure dites transitoires, dont l’application a déjà débuté.
Cependant, une vingtaine d’organisations de la société civile haïtienne n’ont pas tardé à réagir et à critiquer la nature de cette consultation. Un communiqué datant du 11 juin dénonce le fait que ce soit des acteurs externes qui déterminent les priorités du pays. Selon ces derniers, il s’agit d’une approche qui « exclut toute participation réelle des secteurs majoritaires et vulnérables d’Haïti traditionnellement ignorés dans les processus de décision qui engagent l’avenir du pays ». Or, si dans le document du CCI, il est effectivement affirmé que « le gouvernement de transition souhaite réconcilier la nation avec elle-même en impliquant toutes les composantes de la société et en favorisant un dialogue politique », les documents synthèse des rencontres ne sont pas disponibles en créole, la langue de la majorité.
En fait, ce que craignent les organisations ayant signé ce communiqué, c’est que le cadre de coopération mis en place « colore les orientations politiques » du gouvernement au-delà du mandat intérimaire. L’un des représentants des organisations non gouvernementales (ONG) canadiennes qui a participé à la rencontre des donateurs de Washington, les 19 et 20 juillet derniers, affirme que le CCI a été « parachuté en Haïti » et que cette « liste d’épicerie de mesures de redressement représente davantage un engagement envers la communauté internationale qu’envers le peuple haïtien ». La rencontre de Washington a d’ailleurs été boycottée par la majorité des organisations de la société civile haïtienne invitées à y participer. Ce plan de 18 mois s’élève à 1,37 milliards de dollars US. Les nombreuses conditionnalités financières imposées par les bailleurs de fonds jettent une ombre sur les retombées véritables du CCI pour les citoyens haïtiens. Ces mesures, qualifiées d’ultra libérales par les organisations, « augmentent le pouvoir des puissances étrangères sur la gestion interne du pays », et menacent la souveraineté nationale.
À cela, s’ajoute la force internationale chapeautée par le Brésil, sur laquelle s’appuie le CCI. Soit près de 7 600 effectifs sous les ordres du général Heleno Ribeiro Pareira qui assument le suivi de la Force multilatérale intérimaire. La principale tâche de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) est de désarmer les populations et les groupes rebelles qui menacent la sécurité, stratégie certes indispensable à la mise en place d’un climat de confiance propice à la pratique d’une véritable démocratie.
Ce que le groupe demande, c’est la mise en place d’un dialogue national pour susciter de véritables débats sur l’avenir du pays. Exigence qui, selon ces organisations, réduirait le risque de voir toute tentative internationale de médiation et de paix réduite à néant. Autrement dit, ces organisations mettent en garde contre une intervention unilatérale de la communauté internationale. En substance, elles semblent indiquer que celle-ci ne suffirait pas à assurer un climat de confiance, si les autres parties de la société civile ne sont pas incluses dans le plan.
Un régionalisme fragile
Les 15 pays membres de la Communauté des Caraïbes (la CARICOM) sont quant à eux partagés sur la réintégration d’Haïti au sein de la communauté. Il y a quelques mois, seule la Jamaïque, qui avait reçu Jean-Bertrand Aristide à son retour d’Afrique, se disait favorable à la réintégration d’Haïti dans la communauté.
Une rencontre récente de la CARICOM, tenue à Georgetown en Guyana, n’a pas réussi à résoudre l’impasse. Cette fois, les gouvernements de Sainte-Lucie, de Saint-Vincent et de la Guyana s’opposent à la réintégration d’Haïti dans la communauté. Les mésententes tournent autour des conditions dans lesquelles s’est produit le départ d’Aristide le 29 février 2004. C’est que les pays membres de la CARICOM lançaient le mois précédent le départ d’Aristide une initiative régionale visant à réduire le chaos politique interne et rétablir l’ordre démocratique. Ce plan régional s’harmonisait autour des résolutions de l’Organisation des États américains (OEA) sur les droits de la personne, le désarmement du pays ainsi que sur la nomination d’un gouvernement transitoire. Ils lançaient un appel à l’aide, quelques jours à peine avant le départ d’Aristide. Mais toutes ces démarches sont restées marginales et sans réponse de la part de la communauté internationale qui disait chercher un consensus international.
En fait, la destitution de l’ancien président ne figurait pas à l’ordre du jour du plan de la CARICOM. Depuis, ses membres déplorent les incidents de février, refusent de reconnaître le nouveau premier ministre intérimaire et se retirent de la force multilatérale de paix. Les gouvernements qui s’opposent à la réintégration d’Haïti au sein de la CARICOM créent ainsi un précédent. C’est donc la pleine reconnaissance du gouvernement de transition qui est sérieusement remise en question. Ce qui devrait avoir des conséquences sur le niveau de contribution des pays voisins à la reconstruction d’Haïti et risque de ralentir l’entrée de l’aide humanitaire. Cette situation expose à l’insécurité la paix dans la région et le compromis des pays voisins vis-à-vis de l’unité régionale. Elle questionne aussi et surtout le type de relation que souhaite entretenir la communauté internationale avec les acteurs immédiats de la crise.
Lors de la rencontre des chefs d’État du 16 août, la CARICOM devait statuer sur la réintroduction d’Haïti en son sein. La décision devrait se faire connaître bientôt.