Le projet Rabaska

Grandes manœuvres pour le dieu Pétrole

(deuxième partie)

vendredi 2 mars 2007, par Yourianne Plante

Dans la région de Québec, le consortium Rabaska soulève la controverse avec son projet de terminal méthanier de 840 millions de dollars, pour entreposer du gaz naturel liquéfié. Mais jusqu’ici, la polémique entourant la sécurité et la laideur du mastodonte a souvent occulté une question essentielle. À quoi servira tout ce combustible ?

Y a-t-il un traducteur de la langue de bois dans la salle ? Dès qu’il est question de gaz naturel ou d’énergie, les signaux émis par le gouvernement du Québec apparaissent pour le moins contradictoires. Et nul besoin de remonter jusqu’à la controverse entourant le défunt projet de la centrale au gaz du Suroît, qui avait divisé le conseil des ministres lui-même, en 2004. Si le gouvernement du Québec était un individu, on pourrait le soupçonner de présenter une double personnalité.

Côté pile, les récentes publicités du gouvernement proclament : « Notre choix est clair, notre choix est vert. » Ou encore, à propos des éoliennes : « Un vent d’avenir pour le Québec et ses régions. » Dans son guide « L’énergie pour la prospérité du Québec », le ministère des Ressources naturelles et de la Faune annonce même qu’il veut favoriser la substitution de l’électricité produite par le charbon, le pétrole et le gaz naturel par l’hydroélectricité. On assure aussi que le Québec poursuivra le développement du secteur éolien afin de devenir un leader nord-américain de ce type d’énergie.

Côté face, le même gouvernement estime que l’implantation de terminaux méthaniers apparaît « très attrayante pour l’économie du Québec ». Le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, Claude Béchard, s’est ainsi prononcé en faveur de ce « genre » de projet, avant même d’avoir en main toutes les évaluations environnementales. Last but not least, dans sa stratégie énergétique 2006-2015, le gouvernement du Québec envisage la construction de pas moins de trois grands terminaux méthaniers, dans un avenir relativement rapproché, à Lévis, Gros-Cacouna et Grande-Anse, au Saguenay.

Évidemment, ces mégaprojets font naître les pires soupçons chez les écologistes. Patrick Bacon des Amis de la Terre, de Québec, affirme que Gaz Métro, l’un des partenaires de Rabaska, a influencé la Régie de l’énergie quant à la récente hausse les tarifs d’hydroélectricité. « La hausse de l’hydroélectricité aide à rendre le gaz naturel plus attrayant pour les consommateurs, explique-t-il. L’utilisation du gaz naturel libère aussi des kilowatts qu’Hydro-Québec peut revendre à meilleurs prix sur les marchés voisins. » On craint aussi qu’une surabondance de gaz naturel au Québec nuise aux efforts collectifs d’économie d’énergie et d’implantation de kilowatts plus propres.

À ces appels en faveur de l’utilisation des énergies renouvelables, les partisans de Rabaska répondent en utilisant des arguments pratico-pratiques ou économiques. C’est ainsi que le projet a bénéficié de l’appui enthousiaste de l’industrie pétrochimique québécoise. Devant le Bureau des audiences publiques sur l’environnement (Bape), un expert de l’industrie a estimé que la pétrochimie québécoise pourrait utiliser le propane, le butane et les autres produits issus du gaz naturel pour doubler ou même tripler la capacité de ses usines de l’Est montréalais. Une vraie mine d’or. « La pétrochimie, au Québec, cela représente deux milliards de dollars de chiffre d’affaires et 3 500 emplois, dont 2 500 à Montréal-Est, a répété cet expert.

Mais les géants de la pétrochimie ne sont pas les seuls à qui Rabaska et compagnie font les yeux doux. Le plus souvent, les promoteurs des ports méthaniers se posent en champion de la défense des consommateurs inquiets de la montée de leur facture d’énergie. Par exemple, l’un des arguments récurrents de Rabaska consiste à dire que l’implantation d’un ou de plusieurs ports méthaniers favoriserait une baisse du prix du gaz naturel. Selon l’étude d’impact du promoteur, cela représenterait une réduction de 5 %, d’ici 20 ans.

Ces arguments font sans doute vibrer une corde sensible. Mais ils sont vivement contestés. Dennis Bevington, le critique du NPD sur les questions d’énergie, affirme que même si Rabaska était accepté, il n’y aurait pas de baisse de prix du gaz naturel. Selon M. Bevington, ce genre de bonbon pour les consommateurs québécois serait même interdit par les règles de l’Accord de libre échange entre le Canada, les États-unis et le Mexique (ALENA). Le gaz naturel du Québec « devra être vendu au prix mondial sans donner d’économies aux utilisateurs locaux », assure-t-il.

Trois fois les besoins actuels

Pour Dennis Bevington, au-delà des tarifs, il convient de se demander si le Québec a véritablement besoin de tout ce gaz naturel. Nous utilisons quotidiennement 500 millions de pieds cubes de gaz naturel. La très grande majorité de ce gaz provient de l’Alberta, où les réserves devraient permettre d’assurer l’approvisionnement « pour au moins 70 ans », selon lui. Or, Ressources naturelles Canada a estimé que si les trois projets de ports méthanier proposés (Lévis, Gros-Cacouna et Grande-Anse au Saguenay) sont acceptés, pas moins de deux milliards de pieds cubes de gaz seront acheminés chaque jour dans la province. Environ le triple de nos besoins actuels.

Sachant que Thierry Vandal, le p.-d.g. d’Hydro-Québec, affirmait en mai dernier que « tous les nouveaux besoins du Québec peuvent être satisfait par les énergies renouvelables », la question mérite d’être posée : à qui profitera tout ce gaz ? Aux provinces voisines ? Aux États-Unis ? Il est vrai que même si les Américains s’inquiètent de leur avenir énergétique, ils ne sont pas prêts à sacrifier leur sécurité pour voir l’implantation de ports méthaniers près de chez eux. La population de la côte est des États-Unis a déjà rejeté pas moins de sept projets de terminaux gaziers.

Est-ce à dire que le gaz naturel entreposé à Cacouna où Lévis servira en bonne partie à l’exportation ? Du côté de Rabaska, on assure que ce ne sera pas le cas. « Économiquement, ce n’est pas rentable d’aller aux États-Unis », soutient la porte-parole de Rabaska, Stéphanie Trudeau. Selon elle, le partage du gaz se ferait exclusivement entre le Québec et l’Ontario.

En fait, la pièce manquante du casse-tête a été fournie en juin dernier par Stephen J. Wuori, le vice-président d’Enbridge, un des acteurs de Rabaska. Devant les membres du Canadian American Business Council , M. Wuori a ainsi déclaré : « Nous continuons de travailler au projet Rabaska, lequel pourra satisfaire les besoins [en gaz naturel] du Québec, de l’Ontario et nous permettra d’exporter davantage de gaz de l’Ouest vers les États-Unis. »

250 000 voitures supplémentaires

Le Canada constitue le premier fournisseur de gaz naturel des États-Unis. Les exportations canadiennes représentent environ 85 % des importations américaines. Selon les Amis de la Terre, de Québec, le désir de quintupler la production de sables bitumineux en Alberta mettrait aussi beaucoup de pression pour que nous importions du gaz naturel liquéfié (GNL). La transformation des sables bitumineux en pétrole nécessite de grande quantité de gaz naturel. L’industrie de l’Ouest aimerait bien utiliser le gaz présentement destiné au Québec pour assurer la pérennité de ses exportations de pétrole.

Évidemment, ces grands projets ne constituent pas une bonne nouvelle pour l’environnement. « Si ce plan se réalise, les émissions de CO2 vont exploser de 50 % par rapport aux objectifs de Kyoto », affirme Patrick Bacon des Amis de la Terre. Selon Équiterre, l’utilisation au Québec du GNL en remplacement du gaz de l’Alberta « entraînerait des émissions de CO2 équivalentes à 250 000 voitures supplémentaires... »

La controverse entourant l’implantation des ports méthaniers illustre le fossé immense qui continue de séparer les champions du développement économique et ceux de l’environnement, malgré les inquiétudes concernant les changements climatiques. « Le comportement des opposants ne peut favoriser l’émergence d’initiatives créatrices de développement nouveau au Québec », s’indigne Stéphane Michaud de l’organisme proRabaska, à Bon Port. « On n’en sort pas ! C’est l’impasse. L’immobilisme. » À l’opposé, la cofondatrice d’Équiterre, Laure Waridel, croit pour sa part que « la crise environnementale actuelle exige un changement de paradigmes, notamment économique ».

Apparemment, l’heure des choix a déjà sonné. Un premier projet de port méthanier de 700 M$ devrait voir le jour à Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent, aux alentours de 2010. À Lévis, le rapport conjoint du Bape et de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale concernant le projet Rabaska doit être remis le 4 avril. La ville de Lévis ne semble guère s’en inquiéter, puisqu’elle a déjà lancé un appel d’offres public pour trouver des ingénieurs chargés de dessiner la route d’accès aux futures infrastructures.

Contre toute attente, les opposants devront peut-être s’en remettre à l’impitoyable loi... du marché. Avec environ 70 projets de ports méthaniers actuellement lancés à travers l’Amérique du Nord, les experts craignent en effet que la production de gaz liquéfié ne suffise pas pour tout le monde, d’ici 2012. Comble de l’ironie, certains ports pourraient même éprouver beaucoup de difficulté à s’approvisionner

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