Rien ne sera plus comme avant : à partir de maintenant, il y aura un avant-Gaza et un après-Gaza. Pourtant, le carnage de Gaza n’est pas le premier que l’État d’Israël peut inscrire à son palmarès : de Deir Yassin à Chatila, de Kafr Qassim à Cana, l’histoire de l’État juif est, malheureusement, marquée par ces massacres d’innocents. Gaza marque un tournant qualitatif. Ce n’est pas un massacre collatéral d’un conflit armé, qui peut être considéré comme une grave bavure ou un dérapage dont une future commission d’enquête dénoncera éventuellement les responsables. Il s’agit plutôt d’un acte criminel prémédité par un gouvernement et mis en œuvre par son armée : les civils de Gaza, et eux uniquement, ont été les cibles des avions de chasse israéliens. Pas une armée, pas même des groupes armés, mais des milliers de femmes, d’hommes, d’enfants et de vieillards qui résident au cœur d’une des villes les plus densément peuplées au monde. C’est de cela que devront, tôt ou tard, rendre compte les dirigeants militaires et politiques, de gauche ou de droite, devant une cour pénale internationale et devant le tribunal des peuples.
Notre honte, en tant qu’Israéliens, rejoint la colère de millions de citoyens qui ont manifesté à travers le monde pour que cesse le carnage. On ne peut pourtant se limiter à la honte et à la colère, et il est important de tenter de comprendre le pourquoi de ce crime.
Un élément de réponse est lié au mot « Gaza ». Pour la majorité des Israéliens, Gaza n’est pas un lieu, encore moins un million et demi d’êtres humains, mais une « entité », une « entité terroriste ». Quand on bombarde une entité, terroriste de surcroît, on n’a pas d’états d’âme ni de problèmes de conscience. Certains, comme la regrettée Tanya Reinhardt, avaient su le prédire : quand on accepte d’assiéger pendant des années un million et demi de personnes et de leur faire subir un « régime alimentaire sévère », fait de malnutrition, d’épidémies et d’eau polluée, on passe tôt ou tard au massacre. L’histoire relativement récente du Ghetto de Varsovie est là pour nous le rappeler.
Mais au-delà de ce que signifie « Gaza » pour l’Israélien moyen, il y a en plus un contexte politique que nous n’avons pas cessé de décrypter : celui de la guerre globale permanente et préventive contre le terrorisme, devenue guerre contre le terrorisme islamique, devenue, pour les néoconservateurs, guerre contre l’Islam, lui-même identifié au terrorisme.
Israël se considère investi d’une mission civilisatrice : protéger le monde libre (judéo-chrétien) du danger que représente le monde musulman, par une guerre préventive permanente. Pour les néoconservateurs israéliens et nord-américains, Gaza, c’est le Hamas, c’est l’Islam, et en tant que telle, Gaza doit être éradiquée. Voici le sens du carnage de janvier 2009 et sa signification globale.