Au moment où j’écris ces lignes, deux évènements retiennent l’attention partout dans le monde. La finale de la FIFA et…la nouvelle guerre israélo-palestinienne. Ces deux évènements n’ont absolument rien à voir l’un avec l’autre. Le premier se veut festif, heureux et rassembleur. Le second dramatique, haineux et source de nouveaux conflits. Quel rapport entre les deux, donc ? Aucun, sinon que le premier dissimule le second, ou offre si besoin était un prétexte pour détourner le regard et ignorer le sort du peuple de Gaza.
Nous pouvons entendre à tout moment la thèse selon laquelle il y aurait une indifférence de la communauté internationale devant le sort du peuple palestinien. Comment toutefois ne pas y voir plutôt la marque d’une complicité, si le plus souvent agir et laisser faire donnent lieu aux mêmes conséquences ?
Un contraste saisissant
Bien entendu, tout le monde a le droit de vivre heureux, de se divertir, d’avoir des vacances, et un match de la FIFA incarne un bonheur comme un autre. Peut-on cependant dénier ce même droit aux autres ? Certes, il est possible à la fois de se réjouir d’un tir au but, qui soulève les foules et s’indigner d’un obus, qui détruit une famille. Et pourtant, comment se fait-il alors que nous puissions mobiliser des millions, voire des milliards de gens autour d’un ballon et nous montrer incapables de réagir à la mise à mort pure et simple de presque deux cent personnes ? A-t-on déjà réfléchi une minute à l’extraordinaire contraste entre toute l’attention accordée à un jeu et celle, donnée en passant comme on offre l’aumône, à ces femmes et ces hommes, dont le seul crime est de vouloir vivre ?
De quoi sommes-nous coupables au juste ? Plaidons, pour la forme, notre ignorance. Nous serions des imbéciles heureux. Voilà une hypothèse plausible. Elle sera présentée par ceux qui comme moi, ont la colère et l’insulte facile, ou par d’autres qui y verront la banalité de notre condition. Nous serions coupables au fond d’une faute bien pardonnable : le désir de vouloir jouir de la vie, lequel expliquerait notre refus de voir ou d’entendre. Une telle opinion n’a cependant guère de valeur. Pourquoi ? Car nous savons. Sans peut-être en comprendre la complexité, nous connaissons l’étendue du conflit. Nous savons ou pouvons savoir sur le bout des doigts, heure après heure, jour après jour, le nombre de morts, le décompte des missiles tirés. Nous pouvons suivre en direct les fanfaronnades de Tsahal sur Twitter ou ailleurs et les soi-disant preuves de la culpabilité de ses adversaires « terroristes ». Et surtout, nous pouvons même vivre heureux et savoir toutes ces choses. Nous le pouvons, sans pour autant refuser ce bonheur aux autres en leur offrant tout l’appui dont nous sommes capables.
Notre complicité
Au Québec, nous avons l’habitude de nous tenir éloigné des questions internationales. Les médias n’en parlent pour ainsi dire presque pas. Pour des heures de discussion sur la meilleure manière d’apprêter un poulet, il y aura tout au plus quelques minutes sur Gaza. Nous plaignons souvent notre incapacité à agir. Nous devrions plutôt défendre ce qui nous rend capables de savoir, ce qui constitue notre premier pouvoir et la condition de possibilité de tous les autres.
Au Québec, nous ignorons les questions internationales car au final elles seraient du ressort d’un pays qui n’est pas le nôtre, le Canada. Dans le meilleur des cas, nous blâmerons notre gouvernement comme s’il s’agissait d’une puissance étrangère, comme nous condamnons la politique d’Obama ou celle de Netanyahou. Pourtant, ce gouvernement qui appuie inconditionnellement Israël, comme l’a rappelé encore le Premier ministre Stephen Harper, est le nôtre. Et nous croisons les bras, sous prétexte que nous n’avons pas voté pour lui. Or, son plus grand pouvoir est celui que nous lui laissons.
Complicité, donc et non passivité de notre pays et de sa population. Car comprenons le bien : en ce moment, chaque tir de roquette depuis la bande de Gaza et chaque bombardement israélien, consolident le pouvoir des responsables politiques et de l’élite économique, au détriment de populations qui souffrent et engrangent une colère qui ne pourra s’apaiser de sitôt, son brasier fut-il arrosé par toutes les larmes de crocodile du monde. Nous ne sommes pas seulement passifs, mais complices lorsque nous décidons en toute connaissance de cause de ne pas agir, tout simplement parce que cela nous arrange.
Je ne fais pas partie de ceux ou celles qui dénient à Israël le droit à l’existence, ni même le droit de se défendre. Mais qui est l’agresseur ici ? Peut-on vraiment voir en Israël la victime innocente d’une horde de barbus barbares alors qu’il s’emploie depuis des années à coloniser encore et toujours plus un espace dont il se dit le maitre pour mieux chasser celles et ceux qui y vivent ? En Irlande, il y a longtemps déjà, le militant et poète Bobby Sands avait dit : « Notre revanche sera le rire de nos enfants ». Souhaitons de tout cœur une telle revanche au peuple palestinien.
Christian Nadeau, philosophe