Marcher pour permettre aux prochaines générations d’éviter le pire : c’est le but que se sont donné les bénévoles du Moratoire d’une génération, qui ont décidé de marcher les quelque 600 km séparant Rimouski de Montréal afin de démontrer au gouvernement le besoin d’imposer un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste et des énergies sales au Québec.
Ils sont partis de Rimouski le 16 mai et sont arrivés au centre-ville de Montréal le 18 juin dernier alors que des milliers de personnes s’étaient réunies pour appuyer leur cause : un moratoire sur le gaz de schiste. Ce rassemblement, appelé pour l’occasion « Un vrai moratoire : on va l’avoir ! », s’est d’abord massé devant les bureaux d’Hydro-Québec avant de se diriger vers le bureau du premier ministre Jean Charest.
Sébastien Rioux, relationniste bénévole pour Moratoire d’une génération, explique : « notre objectif tout au long de la marche était de rassembler les gens pour leur montrer les dangers du gaz de schiste et les sensibiliser tout au long du parcours de ville en ville, tout en écoutant ceux qui sont déjà touchés par l’exploration ». Toutefois, certains citoyens sont très bien informés, surtout ceux qui sont touchés par les installations, soutient M. Rioux. « À Saint-Grégoire (à la hauteur de Trois-Rivières), une dame qui habitait à 100 mètres du puits no 2 de Junex était très au courant des dangers du gaz de schiste parce qu’elle était allée chercher des renseignements », raconte celui qui s’est joint à la marche en plus de répondre aux médias. « Même des enfants sont présents, ajoute-t-il, et ils sont au courant que le gaz de schiste est mauvais et qu’on va polluer. »
Le sujet n’est pas inconnu. Voilà plusieurs mois déjà que des débats font rage quant à savoir si le Québec exploitera concrètement ce type d’énergie. Bien que l’utilisation du gaz de schiste en soi fasse grincer des dents les écologistes, c’est surtout la technique employée qui suscite l’inquiétude du public. En effet, la fracturation hydraulique, qui consiste à envoyer de l’eau mélangée à des produits chimiques sous haute pression dans le sol afin d’en dégager les gaz qu’il contient, est de plus en plus controversée.
En traversant 33 villages à pieds pour contester contre l’exploitation du gaz de schiste, les bénévoles du mouvement Moratoire d’une génération veulent démontrer leur mécontentement par rapport à l’avenir énergétique du Québec. Si la marche n’a pas suffisamment attiré l’attention du gouvernement, Sébastien Rioux est clair : il pourra y avoir de la désobéissance civile. « S’il y avait désobéissance civile, ce ne serait pas par le biais d’actions violentes puisque Moratoire d’une génération a une charte très pointue sur la violence », a affirmé M. Rioux. Des sit-in ou des blocages de route sont les exemples qu’il a nommés afin d’illustrer les actions qui pourraient être prises par les citoyens contre l’exploitation du gaz de schiste.
L’exploration du gaz de schiste a commencé dans les années 1970, mais ce n’est que dans les années 1990 que les techniques permettant de le commercialiser ont vu le jour. Le Texas est le premier endroit où l’exploitation du gaz de schiste a eu lieu. Le gaz exploité au Texas diffère de celui du Québec en raison de sa composition. Au Québec, le shale (ou schiste) d’Utica est celui qui est exploité. Toutefois, la méthode utilisée demeure la même. Et elle n’est pas sans opposition.
Une mobilisation contre l’exploitation
De plus en plus de groupes citoyens s’unissent afin de militer contre cette exploitation. Moratoire d’une génération en fait partie. Leur but ? Demander au gouvernement d’établir un moratoire d’une génération, soit vingt ans. Leur idée s’inspire des techniques amérindiennes, explique Sébastien Rioux, qui eux prenaient 150 ans, soit sept générations, avant de prendre une décision de cette ampleur afin de bien évaluer les conséquences de leurs actions. M. Rioux poursuit en expliquant qu’il vaut mieux prendre le temps d’exploiter des énergies renouvelables plutôt que de se réveiller avec des problèmes. D’ailleurs, Moratoire d’une génération se pose la même question que le grand public : pourquoi agir si vite ?
En effet, depuis la médiatisation du sujet, le gouvernement semble de plus en plus pressé d’agir, même si ce dernier tente de rassurer la population quant aux actions entreprises. Pierre Batellier, coordonnateur à la direction du développement durable aux HEC de Montréal, était présent à la manifestation du 18 juin dernier en tant que membre du mouvement citoyen Mobilisation gaz de schiste des habitants de Saint-Marc-sur-Richelieu et de la vallée du Saint-Laurent. Il s’inquiète de la vitesse à laquelle on octroie des permis aux compagnies pour explorer. Il rappelle qu’au Québec, il n’y a pas d’urgence d’agir quant à l’exploitation du gaz de schiste.
Ces mouvements citoyens se sont mis en place à la suite du rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de mars dernier qui donnait raison au gouvernement de ne pas imposer ledit moratoire.
Dans son rapport, le BAPE suggère de poursuivre l’exploitation du gaz de schiste, mais en interdisant la fracturation hydraulique, sauf pour des recherches scientifiques, et ce, jusqu’à ce qu’une évaluation environnementale stratégique (EES) soit faite de la part du gouvernement. Or, les groupes écologistes demandent l’interdiction complète de cette technique puisque les véritables dangers en découleraient.
Dans les arguments amenés contre la fracturation hydraulique, il y a les dangers potentiels que représente cette technique pour les nappes phréatiques. Une étude américaine publiée en avril 2011 se concentrant sur l’exploitation du gaz de schiste dans l’état de la Pennsylvanie et l’état de New York fait un rapprochement entre le taux de méthane très élevé dans 85 % des nappes phréatiques à proximité des sites d’exploitation de gaz naturel. En plus des nappes phréatiques, les groupes environnementaux dénoncent l’utilisation de l’eau douce, qui constitue 95 % du mélange qui sert à fracturer les roches souterraines, malgré le fait que les compagnies affirment pouvoir réutiliser l’eau contaminée.
Au Québec, l’exploitation du gaz de schiste par fracturation hydraulique se ferait surtout entre les villes de Québec et de Montréal, dans les basses terres du Saint-Laurent, à proximité du fleuve du même nom. Les régions les plus touchées par ces travaux seraient la Montérégie, le Centre-du-Québec et Chaudière-Appalaches. Les complications liées à la fracturation hydraulique sont encore méconnues, ce qui rend les conséquences impossibles à prévoir, notamment pour les agriculteurs. Une chance à prendre, en quelque sorte.
« La fracturation hydraulique est un problème majeur, mais les problèmes de surface sont également à surveiller », explique Pierre Batellier. « Sur une dizaine d’années, il y aura peut-être 30 ou 40 puits de forage. Et puis, les camions qui vont voyager. Sans mentionner les litres d’eau contaminée. » L’expert en développement durable s’inquiète également des conséquences socioéconomiques, qui n’ont pas encore été étudiées. « Ce n’est pas vrai que ça n’aura pas d’impact sur la société. Qu’en est-il des écoles à proximité ? » Ironiquement, la majorité des terres visées par les compagnies détentrices de permis d’exploitation sont des terres agricoles. Devrait-on promouvoir une économie aux dépens qu’une autre ? Le débat n’est pas terminé.
Oppositions ailleurs dans le monde
À la fin du mois de mai dernier, des tremblements de terre sont survenus à Blackpool dans le nord-ouest de l’Angleterre, ce que des experts ont relié à la fracturation hydraulique utilisée par la compagnie Cuadrilla Ressources. La compagnie a aussitôt dû cesser ses activités et une enquête a été réalisée. Malgré tout, le gouvernement britannique n’a pas imposé de moratoire sur l’utilisation de cette méthode d’extraction.
Il s’agit là d’une position contraire à son voisin du sud, la France, qui au début du mois de mai dernier a interdit la fracturation hydraulique pour explorer et exploiter les sites de gaz de schiste. Le pays a ainsi réagi aux plaintes des environnementalistes qui dénonçaient ce type d’énergie. Si la fracturation hydraulique a été bannie, l’exploitation du gaz de schiste pourrait éventuellement se faire à l’aide d’une autre méthode.
Aux États-Unis, la fracturation hydraulique est légale et utilisée depuis plusieurs années dans de nombreux états, dont la Pennsylvanie, New York, le Colorado et le Texas. La méthode n’en est pas moins controversée et a inspiré des cinéastes comme Josh Fox, qui a réalisé le documentaire Gasland qui tente de démontrer les effets négatifs de la fracturation hydraulique aux États-Unis, notamment pour la santé des gens qui vivent à proximité des installations. Qui plus est, les législations étasuniennes sur l’environnement ne tiennent pas compte du gaz naturel. En 2005, le Congrès des États-Unis a modifié le Safe Drinking Water Act (la loi sur la salubrité de l’eau potable, mise en 1974) afin d’y exclure la fracturation hydraulique, ce qui signifie que malgré le fait que cette technique pollue l’eau potable, elle n’est pas légiférée.
Aux États-Unis, le citoyen est propriétaire du sous-sol où il habite. Les compagnies minières doivent donc négocier avec les gens afin de pouvoir extraire des ressources sur leur terrain. Josh Fox a eu l’idée de son documentaire en recevant une lettre d’une compagnie qui lui proposait 100 000 dollars en échange des droits de forage sur sa propriété.
Au Québec
Au Québec, l’État est propriétaire du sous-sol, surtout puisque les particuliers n’ont pas les moyens d’exploiter les ressources. « Les réglementations se font attendre. Le rapport du BAPE et les études environnementales stratégiques (EES), c’est de la poudre aux yeux. Ils se questionnent sur comment encadrer l’exploitation plutôt que se demander si on en a vraiment besoin », affirme Sébastien Rioux en parlant des interventions de l’État à ce sujet. « Un moratoire est donc nécessaire, soutient Pierre Batellier, pour prendre une décision dans un contexte sain et serein. De plus, explique M. Batellier, le gaz de schiste, dans le contexte québécois, n’est pas une énergie durable, surtout parce que l’exploitation se ferait dans des zones habitées. »
Il y a donc un manque de communication entre les responsables gouvernementaux et la population qui elle, s’inquiète de plus en plus. « Tant que le gouvernement ne voudra pas réagir, la population va avoir l’impression de ne pas être écoutée, » conclut Sébastien Rioux.