La première édition de Porto Alegre fut d’abord et avant tout un acte de foi ; la seconde confirma la bonne nouvelle et l’idée qu’il existait - potentiellement - des alternatives à la pensée néolibérale et à la militarisation de la sphère politique. La troisième - tenue à l’ombre de la menace de guerre contre l’Irak - a bénéficié de la victoire électorale de Lula et d’un contexte régional marqué par la situation toujours tragique de l’Argentine et les tensions politiques au Venezuela. La participation, plus élevée encore que l’an passé, l’explosion du nombre de débats, conférences, meetings, la présence notable d’une forte délégation américaine, tout ceci atteste que la vague critique de la mondialisation reste forte et porteuse ; que les Forums, leur principe de rencontre, est bien un facteur dynamisant des énergies et réflexions militantes.
Mais cette troisième année clôt vraisemblablement un cycle pour introduire une nouvelle période, riche de questions et de difficultés nouvelles. La décision de tenir le prochain Forum mondial en Inde illustre d’ailleurs parfaitement cette double dimension.
De toute évidence, il était devenu nécessaire que le forum social quitte Porto Alegre. La répétition n’est pas un facteur de créativité et le monde ne saurait se ramener à un axe euro-brésilien. L’Afrique, l’Asie, une large partie du monde anglo-saxon ne s’y reconnaissent que très partiellement. Enfin, le succès même du forum, sa dimension de masse, aboutit à en modifier la dimension. Ainsi, la Chambre de commerce de Porto Alegre souhaite-t-elle aujourd’hui rejoindre le comité organisateur.
Reste que ce mouvement vers l’Asie risque de ne pas être simple. Au Brésil, l’unité des organisateurs préexistait au forum ; elle en avait été le facteur essentiel de réussite. L’Inde, en revanche, connaît une situation très éclatée et riche des tensions entre organisations sociales et/ou de gauche. Si les mouvements sociaux y sont puissants et divers, ils s’inscrivent dans une double tradition de diversité et de liens avec les organisations politiques. Le forum saura-t-il créer les conditions d’un dialogue fructueux ? Ce sera, en tout cas, un test à échelle continentale.
La croissance des forums interpelle également leur capacité à rester des lieux de rencontres et de mélange. Rien ne serait, en effet, plus stérile que d’aboutir à faire se juxtaposer en un même lieu un forum syndical, un forum parlementaire, un forum associatif, etc. sans que les différentes visions - sociales, écologiques, revendicatives, juridiques - ne se croisent et puissent échanger entre elles. Ce travail de fertilisation réciproque implique des rapports de travail, d’échange, plus réguliers et très clairs.
Ce qui conduit à une autre question : le label forum social est élogieux et la tentation est grande de s’en saisir pour bénéficier de son poids. Péché véniel, sans aucun doute, mais qui a le mérite d’interroger la pertinence du statut de ces Forums. D’un côté, il est exclu qu’ils se transforment en superstructure, organisant l’agenda et les priorités des uns et des autres ; de l’autre, il est clair que, s’ils continuent à s’interdire toute parole officielle, il se trouvera toujours des acteurs pour parler en leur nom.
Fournir un cadre, rester accueillant, élaborer des points de repères pour l’action convergente : ainsi pourrait-on résumer le cahier des charges à tenir. C’est tout à la fois peu et beaucoup, difficile et indispensable si l’on veut que ces Forums soient d’avenir.