Lorsqu’il commença son action à Kinshasa au début des années 80, Floribert Chebeya ne payait pas de mine : petit, mince, il avait suivi les cours de l’école de commerce et venait tout droit de Bukavu, où la société civile commençait à s’organiser. Très vite, son organisation, la Voix des Sans Voix, apparut comme un défi permanent au régime de Mobutu, dénonçant l’absence de liberté politique et la persécution des opposants. Régulièrement menacé par les Hiboux, les sbires des services spéciaux, Chebeya maintenait le cap, et avait même impliqué son épouse dans son action, lui faisant suivre une formation afin qu’elle puisse , le cas échéant, prendre la relève parmi les défenseurs des droits humains. Lorsque le pouvoir tenta de manipuler la conférence nationale souveraine, Chebeya était là, il défendait les politiciens menacés, alimentait en témoignages et en informations les journalistes, les observateurs, les ambassades. Lorsque Mobutu prit la fuite, en mai 1997 et que les rebelles venus de l’Est installaient le nouveau pouvoir incarné par Laurent Désiré Kabila, Chebeya était resté au poste : au lieu de fêter la fin de la dictature et de partager, ne serait que quelques jours, l’euphorie et l’illusion, il parcourait la ville, interrogeait les enfants soldats, ces gosses qui portaient des fusils plus grands qu’eux, tentait de détecter en leurs rangs les soldats venus du Rwanda et il fut l’un des premiers à faire part des inquiétudes que lui inspirait ce nouveau pouvoir mis en place par des armées étrangères.
Au fil du temps, ce précurseur était devenu une référence : la société civile s’inspirait de son exemple, les rapports de la Voix des sans Voix, amplement diffusés à travers le monde, étaient devenus l’un des thermomètres de la démocratie au Congo.
Malgré l’audience croissante dont il jouissait sur le plan international, Floribert Chebeya était resté pareil à lui-même, époux aimant et père de famille attentif à l’éducation de ses cinq enfants, fidèle à ses amis de la première heure. Il avait aussi formé une équipe efficace, un réseau de correspondants à travers le pays, des militants jeunes et aussi courageux que lui. Mais au fil du temps, il avait alourdi ses charges et balayait bien plus large que la seule défense des droits humains. Prenant plus en plus de positions politiques, il avait critiqué les opérations militaires menées à l’Est du pays contre les rebelles hutus, défendu Vital Kamerhe le président de l’Assemblée dans son bras de fer avec la majorité présidentielle, dénoncé le budget alloué aux festivités du 30 juin. De plus en plus, il prenait pour cible le chef de l’Etat lui-même et il avait enquêté sur les circonstances de la mort d’Aimée Kabila, une jeune fille qui se présentait comme la soeur du chef de l’Etat… A l’occasion d’un récent séjour en Belgique, il avait même annoncé à ses amis de la Ligue des droits de l’homme son intention de demander une audience à la Cour pénale internationale et de se rendre à La Haye.
On ignorera toujours les révélations qu’il comptait faire