Avec son premier long métrage, Le ring, la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette signe une chronique sur l’univers chaotique de nombreux enfants du quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal. Film ultra réaliste, Le ring raconte l’histoire du jeune Jessy, dont l’univers va bousculer à la suite du départ de sa mère héroïnomane. Entre un père qui tente maladroitement de garder soudée la famille et un frère et une sœur qui lorgnent du côté de la drogue et de la prostitution, Jessy va lui se tourner vers la lutte. Jusqu’à ce qu’il prenne conscience que la vie n’est pas un match de lutte... Entrevue avec une jeune cinéaste engagée.

Alternatives ─ Vous avez majoritairement réalisé des documentaires. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans la fiction avec ce premier long métrage ?
Ça m’a un peu tombé dessus par hasard. J’aime beaucoup le documentaire, mais j’avais aussi l’envie de toucher à autre chose. Outre le désir de toucher à un peu tout, je voulais rassembler plusieurs éléments du réel. Les personnages du film, je les connais tous, je les ai tous rencontrés sur le terrain. Le ring m’a permis de les rassembler dans une même fiction. Je voulais aussi rejoindre le plus de monde possible. Le documentaire ne bénéficie malheureusement pas d’une diffusion aussi large que la fiction.
A. ─ Vous avez tourné des documentaires sur des enfants de nombreux endroits sur la planète. Pourquoi avoir choisi de mettre en scène ceux du quartier Hochelaga-Maisonneuve ?
Je fais du bénévolat dans Hochelaga-Maisonneuve depuis sept ans. Je connais donc bien le quartier de l’intérieur. Je ne me serais jamais permis de faire un film sur un quartier que je ne connais pas. Je sentais que j’avais le droit d’en parler. Je voulais être l’intermédiaire de ces enfants, mettre le quartier sur la map. À Montréal, si tout le monde sait que ce quartier est défavorisé, on n’en parle jamais vraiment. Des petits « Jessy », il y en a plein à Hochelaga-Maisonneuve, ils existent, ici, juste à côté de nous.
A. ─ Comment votre expérience de documentariste a-t-elle influencé le film ?
Je n’aurais jamais pu faire ce film si je n’avais pas tourné avant des documentaires sur les enfants défavorisés du Sud. Ça m’a pris tous les enfants du monde pour prendre conscience de la réalité des enfants ici, dans ma ville. Cela a été plus facile d’aller à la rencontre des enfants défavorisés du Honduras que d’ici. J’étais d’ailleurs fâchée contre moi-même, fâchée de ne pas les avoir vus avant, de ne pas avoir pris conscience avant de la pauvreté des enfants juste à côté de chez moi.
Mon expérience en documentaire a aussi influencé la manière dont le film a été tourné. Je le voulais ancré dans la réalité, dans tous les aspects, que ce soit pour les costumes, le langage, pour ce qu’il y avait dans le frigo et aussi ce qu’il n’y avait pas. Par exemple, le lait qu’on voit dans le film n’est pas écrémé, parce que je sais pertinemment qu’on n’en retrouve pas dans les frigos du quartier...
Nous avons aussi travaillé l’ambiance sonore. Alors que généralement on fait disparaître les bruits de fond (musique du voisin, porte qui grince, voisin d’en haut qui marche), nous en avons au contraire rajouté. On sent ainsi que les voisins sont séparés par des murs en carton.
A. ─ Les enfants sont au cœur de vos réalisations. D’où vous vient cet intérêt ?
Je répondrais simplement que je suis vraiment bien avec les enfants. Ils sont vrais et je suis à mon meilleur avec eux. Il n’y a pas de masque. De plus, je crois qu’ils sont trop peu écoutés, comme les aînés d’ailleurs. Ils n’ont pas beaucoup de place dans la société, alors qu’ils auraient beaucoup à nous dire, à nous apprendre.
A. ─ Comment avez-vous déniché le jeune comédien Maxime Desjardins-Tremblay, l’interprète de Jessy ?
Nous l’avons d’abord filmé un peu par hasard, Arnaud Bouquet et moi, lors de la réalisation du documentaire Si j’avais un chapeau, il y a quelques années. À l’époque, nous avions tourné un match de lutte dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et il y avait là un garçon de 10 ans qui criait plus fort que tous les autres. C’était Maxime. Pour Le ring, nous lui avons fait passé six auditions. C’est beaucoup, mais nous voulions être sûrs qu’il serait à la hauteur, car la réussite du film reposait entièrement sur son interprétation du rôle de Jessy. Nous avons beaucoup travaillé avec lui. Contrairement à ce qui se fait d’habitude, nous avons fait les répétitions sur les lieux de tournage, avec une caméra.
A. ─ Pourquoi la lutte ?
D’abord parce que la lutte est un véritable phénomène dans le quartier, une sorte de catharsis. Ensuite, parce que le ring symbolise le quartier, la vie du personnage de Jessy. Contrairement à la lutte, Jessy va se rendre compte que tout n’est pas prédéterminé, qu’on a le choix, qu’on peut décider de ne pas être un éternel loser.
A. ─ D’après vous, le film a-t-il une portée universelle ?
Il semble que oui et je ne m’attendais pas à cela. On dit que plus c’est local, plus c’est universel. Je réalise de plus en plus à quel point c’est vrai. Le film a été présenté en Corée du Sud et la salle était bondée, il y avait plein de gens qui posaient des questions. Il y a donc aussi des petits Jessy coréens. Jessy peut être n’importe quel jeune garçon issu d’un milieu pauvre de la planète, et Hochelaga-Maisonneuve est l’exemple de n’importe quel quartier défavorisé.
A. ─ Qu’espérez-vous qu’on retienne du film ?
J’espère que nous allons parler davantage de ces enfants, que nous allons les raconter, qu’ils ne seront plus ignorés. J’aimerais également provoquer une volonté d’engagement, donner une réponse à ceux, nombreux, qui ont une volonté d’agir, qui se demandent : « Mais qu’est ce qu’on peut faire ? » Il existe déjà de nombreux organismes dans le quartier dans lesquels on peut s’impliquer. Par exemple l’AED (Assistance aux enfants en difficulté), dans lequel je suis impliquée, permet de parrainer un enfant, on peut également faire de l’aide aux devoirs, etc.
A. ─ Et quels sont vos projets actuellement ?
En ce qui concerne Le Ring, je pars sous peu le présenter en Inde. Il sera également présenté au Festival international du film de Berlin en février prochain. Je travaille sur un documentaire coréalisé avec Émile Proulx-Cloutier, Les petits géants. Le projet consiste à suivre pendant un an des enfants du sud-est de Montréal qui montent un opéra de Verdi. Enfin, j’ai déjà un scénario sur les rails pour un deuxième projet de long métrage, sur la Palestine, celui-là.