Femmes d’Irak

jeudi 1er juin 2006, par Judy REBICK

« La dernière fois que nous nous sommes rencontrés ici, nous étions préoccupés par ces terroristes qui tuent des gens », explique Ayas J. Majyd, secrétaire général du General Union of Students in Iraq, à propos de la vie à Bagdad. « Maintenant, ce sont des gens qui tuent des gens. »

Il s’adressait à des dirigeants des mouvements sociaux irakiens, dans le cadre d’une rencontre bimensuelle à Amman, en Jordanie. À leur demande, j’y étais invitée à la mi-avril pour donner une formation sur ce qu’ils appellent « genre », et moi, « féminisme ». Il y avait des organisations de femmes, d’étudiants et de travailleurs qui luttent contre des forces terribles afin de construire une société civile en Irak. On y comptait treize femmes et sept hommes appartenant à trois générations différentes. La rencontre était organisée par Alternatives.

Alors que nous entamions la discussion, Wafaa Mohamad, du groupe Iraqi Rising Women, a demandé : « Comment pouvons-nous parler d’égalité entre les genres, alors que nous dépendons des hommes pour notre propre protection ? » La jeune femme de 27 ans venait tout juste d’être dévalisée par un chauffer de taxi, qui l’aurait certainement attaquée si elle n’était parvenue à sauter du véhicule en mouvement. L’une des questions stratégiques de la journée fut donc : « Comment s’organiser sans donner aux hommes tous les pouvoirs ? »

Mais quand la discussion porta sur les entraves majeures au militantisme des femmes, en guise de réponse on invoqua de façon claire et nette la tradition, ce patriarcat qui désire maintenir les femmes à la maison.

Bien que nous soyons tous conscients du chaos qui sévit à Bagdad, nous en savons bien peu à propos de ce qui arrive aux femmes là-bas. Les femmes d’Irak avaient probablement un meilleur accès à l’éducation et au travail sous ce qu’elles appellent aujourd’hui le régime X, celui de Saddam, que nulle part ailleurs au Moyen-Orient. La moitié des étudiants universitaires était composée de femmes. Trois des treize femmes présentes à l’atelier étaient ingénieurs. Elles font maintenant face à un recul important en matière d’égalité.

Dans la nouvelle Constitution irakienne, il est illégal de voter toute loi pouvant contredire le Coran, ce qui peut signifier qu’un homme qui bat sa femme serait protégé par la loi. De plus, vu le danger quotidien à Bagdad, les pères, les maris et les frères voudraient que leurs filles, épouses et sœurs restent à la maison. Le patriarcat peut être aussi protecteur qu’abusif, mais dans chacun des cas, il limite les opportunités des femmes.

Iraqi Rising Women ayant développé une approche « porte-à-porte » d’organisation, nous avons discuté de méthodes de sensibilisation et de stratégies politiques basées sur la condition des femmes et les obstacles auxquelles elles font face. Ces femmes avaient beaucoup lu sur le féminisme. Elles connaissaient les enjeux de garde des enfants, d’équité salariale, etc., mais c’était la première fois qu’elles entendaient parler du caractère politique de la vie privée ou, encore, des groupes dits de conscientisation. C’était aussi la première fois qu’elles étaient informées sur le Wen-do, ces techniques d’autodéfense pour les femmes. C’est à ce moment que Faten Abed, du Engineers Gathering to Support Reconstruction, a demandé, non sans cacher sa joie : « Vous voulez dire que les hommes pourraient avoir peur de nous ? »

En deux jours, nous avons développé une série de stratégies de mobilisation afin de contrer la violence faite aux femmes, dans la rue comme à la maison. La première étape consistera à former les femmes de Bagdad au Wen-do.

Je ne me rappelle pas avoir consacré deux journées à un travail aussi judicieux. Rencontrer des femmes aussi courageuses, être capable de partager avec elles des instruments que j’ai acquis au fil de mes années de militantisme, et constater à quel point elles pouvaient les aider à s’adapter à leur propre réalité me réjouit profondément.

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