Jamal-Eddine Tadlaoui, sociologue et coordonnateur du volet employabilité de la Table des organismes au service des réfugiés immigrants (TCRI), affirme que le racisme au Québec n’a pas vraiment diminué. Il est juste plus voilé et donc plus difficile à dénoncer : « Depuis les événements du 11 septembre 2001, si bon nombre d’employeurs et de citoyens se sont crus autorisés à manifester ouvertement et impunément leur racisme et leur intolérance, en général les personnes racistes sont devenues prudentes et exercent leur discrimination sous le couvert d’autres prétextes. »
En matière d’insertion à l’emploi - un facteur majeur d’intégration et un « baromètre » de la place que la population dite de « souche » est prête à accorder à « l’autre » - l’argument « linguistique » est fréquemment utilisé par les employeurs pour refuser un emploi à un immigrant, sans risquer une plainte pour discrimination raciale. Une pratique facile que dénoncent plusieurs organismes qui notent également que les cours de français offerts dans le cadre des politiques d’intégration sont insuffisants pour assurer une intégration professionnelle : « La francisation ne répond plus aux besoins des nouvelles vagues d’immigrants et doit faire le lien avec l’insertion professionnelle et le milieu du travail », a affirmé Jamal-Eddine Tadlaoui, qui considère le racisme comme un « fait social » demandant des actions concertées des gouvernements et des groupes sociaux.
Renforcer les stéréotypes négatifs
Les préjugés existaient bien avant que les deux tours jumelles ne s’effondrent mais depuis, note Yasmina Chouakri de la Fédération des femmes du Québec, ils ont été renforcés par la représentation imaginaire que l’on se fait du musulman ou de la femme arabe en Occident : « Certains refusent d’employer des femmes voilées parce qu’on les perçoit comme des êtres opprimés, qui constituent une menace aux acquis des femmes d’ici. »
Au lendemain du 11 septembre, le Conseil canadien des femmes musulmanes (CCMW) a ressenti le besoin « d’en discuter l’impact ». L’organisme a donc élaboré un projet de recherche communautaire intitulé La voix des Canadiennes musulmanes2. Les résultats obtenus ont démontré que les attentats ont eu des impacts négatifs et positifs sur le quotidien de celles-ci. Comme effets négatifs, mentionnons notamment la peur des répercussions négatives sur les communautés d’ici ; la culpabilité par association (les événements ont amplifié, chez les musulmans, l’idée de la responsabilité commune pour tout acte commis par une personne prétendant agir au nom de l’islam) et la fausse représentation médiatique, qui a propagé l’idée que tous les Arabes se réjouissaient des événements.
Parmi les effets positifs, la solidarité témoignée au lendemain des attentats par la communauté canadienne fut grandement appréciée. L’étude a démontré également que les événements ont contribué au renforcement des liens au sein des communautés arabes et musulmanes ainsi qu’à la revalorisation de la participation « citoyenne » des communautés modérées afin qu’elles puissent davantage faire connaître leurs réalités.
Un racisme « respectable »
Chercheur invité au Groupe de recherche ethnicité et société de l’Université de Montréal, Rachad Antonius s’est penché sur le rôle des médias canadiens dans la fomentation d’un racisme « respectable », ouvert mais non perçu comme tel et donc, non dénoncé : « Le racisme n’est pas un fait d’ignorance. Il est inscrit dans la structure du discours des médias qui reproduit les schèmes d’analyse justifiant le racisme. » Par exemple, en analysant le traitement médiatique de l’occupation militaire israélienne des territoires palestiniens, le chercheur a remarqué que les politiques d’occupation sont souvent passées sous silence alors que la colère des Palestiniens vis-à-vis de ces politiques est exposée : « On explique la colère par la haine et la religion dans un discours non raciste mais structuré pour l’engendrer. L’idée de la haine est inscrite dans les lunettes avec lesquelles on regarde le Proche-Orient. »
Contrer le racisme, c’est possible, croit Jamal-Eddine Tadlaoui du TCRI. Mais il faut avoir la volonté politique de le faire : « Il serait important de repenser la place que l’on est réellement prêt à donner à celui que l’on regarde comme l’ "autre" et faire en sorte qu’il ne soit plus un "autre" mais un citoyen à part entière. »