Son dernier album, Carmin, est tout à son image : sensuel et poétique, le mélange exquis des langues s’entremêle aux chauds accents du Sud. Les rythmes afro-brésiliens, teintés de samba et de tango, côtoient l’espagnol, le portugais, l’italien et le français, pour notre plus grand plaisir. Pour cette âme voyageuse, ce métissage des langues et des cultures représente avant tout un besoin de tisser des liens : « C’est tout naturel pour moi. Une langue, c’est un instrument à part entière, qui a sa propre mélodie, et j’aime jouer avec les mots de façon ludique et sensuelle. Le mélange des langues, c’est aussi une façon de rapprocher les cultures. » À l’image de son parcours.
Elle a trois ans lorsque sa famille est contrainte à l’exil. Ses parents, militants de gauche dans les années 60, fuient la dictature militaire brésilienne pour se réfugier tour à tour au Chili, au Pérou et au Portugal. L’enfance de Bïa est marquée par ces nouveaux horizons et la poésie de Neruda, Violeta Parra ou Atahualpa Yupanqui imprègne son jeune univers.
En 1980, lors de la promulgation de la Loi d’amnistie générale au Brésil, sa famille retourne au pays ; Bïa a 12 ans. Elle y restera quelques années, mais pour celle qui a attrapé très tôt « le virus du voyage », difficile de tenir en place. Alors que ses amis rêvent de découvrir les États-Unis, son esprit de contradiction l’amène en Europe, sac au dos et guitare à la main. Depuis, elle y a élu domicile, mais ses racines, profondément sud-américaines, demeurent.
Entre deux continents
Après un premier tour d’horizon du continent européen, elle s’installe en France où, quelques années plus tard, elle enregistre une premier album avec la flûtiste Dominique Bouzon. Avec La Mémoire du Vent, lancé en 1997, elle se fera doucement connaître auprès du public français, qui découvre du même coup ses adaptations de Brassens, en espagnol, et du poète Chico Buarque, en français.
L’année suivante, une invitation aux Francofolies l’amène à Montréal, une découverte qui lui a tout de suite plue. « J’ai senti une affinité assez forte avec le Québec dès ma première visite », raconte-t-elle. Depuis, elle en a fait son deuxième pied-à-terre et partage son temps entre deux continents, venant au Québec avant tout par plaisir mais aussi pour la musique. Son dernier album reflète ce coup de cœur ; enregistré en partie à Montréal, plusieurs musiciens d’ici y ont collaboré.
À travers ce parcours de vie éclectique, une comparse, la musique, qui ne l’a jamais quittée. « La musique a toujours été présente dans ma vie, raconte Bïa. À travers mes voyages et mes déracinements, mon identité a toujours été véhiculée par la musique ; ça garde au chaud mes racines. Mes parents emportaient peu de choses lorsqu’ils partaient, mais toujours des disques. Et ce n’est que plus tard, beaucoup plus tard, que j’ai compris ce que ça représentait. »
Et maintenant plus que jamais, la musique est devenue pour Bïa un mode d’expression. « Il y a plein de façons de véhiculer un message politique, philosophique ou poétique. Pour moi, c’est la musique. C’est ma manière d’être une citoyenne. Premièrement en étant une femme qui fait ce qu’elle aime et qui en vit ; c’est déjà affirmer une façon de voir le monde. Et le fait d’avoir cette constance dans l’idée de faire voyager les langues, de leur apporter ses émotions et de les faire découvrir, c’est ma manière de crier contre le racisme, la xénophobie et la violence. »
Un clin d’œil à Lula
Comme en témoignent ses influences musicales, Bïa reste profondément attachée à son pays natal. Elle suit de près l’effervescence politique qui anime le Brésil depuis l’élection de Lula, nouveau président issu du Parti des Travailleurs (PT), maintenant au pouvoir. Son dernier album lui est dédié. « Je l’aime depuis très longtemps, ce monsieur. Très jeune, nous avons appris à le connaître en tant que syndicaliste qui a créé ce mouvement qui est maintenant d’une très grande ampleur. Des membres de ma famille sont impliqués dans le nouveau gouvernement, ma mère est une grande militante du PT. »
Sa dédicace à Lula est une façon de lui dire qu’elle y croit. « Je pense sincèrement que le fait qu’il soit devenu président va permettre de redonner un coup de barre au Brésil, afin de le remettre sur la bonne voie. J’étais là en février, et j’ai vu beaucoup d’espoir parmi la population. Beaucoup. Un peu partout sur la planète, les écarts se creusent, et c’est particulièrement vrai au Brésil. C’est pourtant un pays qui regorge de richesses, mais qui sont mal distribuées. »
Comme des milliers de Brésiliens, Bïa partage l’espoir d’un avenir meilleur pour son pays, à l’aube de ce renouveau politique. Un espoir qu’elle transmet avec joie, en musique et en chansons. Une véritable touche de soleil brésilien en sol québécois.