
Dès sa création en 1985, le Festival de théâtre des Amériques (FTA) se voulait un festival international mais ses concepteurs ont eu besoin d’avoir un ancrage, de définir un territoire. « Pour æ¢sortir de la dynamique Est-Ouest avec l’Europe qui prévalait alors dans les échanges artistiques, nous avons eu l’intuition d’arpenter le continent », explique Marie-Hélène Falcon, directrice générale et artistique du FTA. Elle explique que le Festival est en fait un point de départ pour aller partout. Cette année, une place spéciale est accordée aux jeunes créateurs du Moyen-Orient. Nul doute pour la directrice que leurs préoccupations rejoignent celles des jeunes d’ici. « Ils parlent de liberté et d’absolu. Ils ont le même esprit de recherche par rapport à leur art et posent les mêmes questions provocantes. »
Car c’est bien ce qui est commun aux créateurs du FTA : un engagement profond envers leur art, envers la société. « Être artiste, c’est poser un regard critique et perturbateur sur un état de fait », soutient Marie-Hélène Falcon. Ces propos rejoignent Alain Françon, metteur en scène parisien et directeur du Théâtre National de la Colline. Il présente au FTA deux pièces particulièrement critiques du monde moderne : E [un roman dit], de l’auteur saguenéen Daniel Danis, qui pose la question de la légitimité de l’appartenance au sol, et Si ce n’est toi, d’Edward Bond. Françon a fait de ce dramaturge britannique contemporain, qui pose un regard choc sur notre société, un proche collaborateur. « Il constate le monde inhumain dans lequel nous vivons, précisément pour en dégager ce qui est humain », commente-t-il à propos de Bond. Pour le metteur en scène, le théâtre joue cette fonction publique et politique de rendre visible ce qu’on ne veut pas voir ou ce qu’on ne nous permet pas de voir. « Si le théâtre n’ouvrait pas cette brèche, je ne vois pas ce qu’il ferait dans ma démarche. »
Théâtre de rue
Porte ouverte sur l’imaginaire et la créativité, le FTA cherche à sortir des sentiers battus, tant par les questions que les créateurs soulèvent que par les formes qu’ils empruntent. Il en va ainsi de la création Je ne sais pas si vous êtes comme moi, de la Cellule de la lumière rouge du groupe d’intervention théâtrale participative, Mise au jeu. Créée l’an dernier, la pièce est reprise cette année dans le cadre du FTA. La pièce a pour décor la rue Ontario et pour acteurs, les résidents de ce quartier, dont les prostituées sont les protagonistes. Car c’est d’un questionnement sur la prostitution qu’est née la création. « On se demandait pourquoi certaines filles le faisaient et d’autres non. On voulait en savoir plus », confie Nancy Roberge, l’une des quatre conceptrices, avec Marie-Claude Gamache, Martine Laliberté et Martine Matte. Cette dernière étant elle-même une ex-travailleuse du sexe.
Flanqué d’un baladeur, le spectateur se laisse guider par une voix qui lui indique le chemin à suivre et s’abandonne à la bande sonore, truffée de témoignages et de commentaires. Sur son chemin, le public est alors témoin du monde grouillant d’un microcosme : des filles qui font la rue, un client qui invite, des junkies repliés dans leur squat, des commerçants qui en ont marre, etc. « La forme est venue après et le déambulatoire s’est avéré la meilleure manière de faire comprendre ce que nous avions découvert nous-mêmes », raconte Nancy Roberge. La conceptrice avoue que certains spectateurs peuvent se sentir à prime à bord voyeurs, « mais la bande sonore crée une espèce de bulle qui donne le droit d’observer davantage, de s’arrêter, de discuter avec les gens. » Avec qui discute-t-on ? Le participant est en effet sans repères devant ce qui est réel et ce qui ne l’est pas dans cette expérience où se croisent comédiens et gens du quartier. En définitive, c’est un tout autre regard qui est porté sur la prostitution de rue et la vie de ce quartier.
Un festival de théâtre qui promet donc d’être percutant. Le FTA, c’est la rencontre de « ceux qui travaillent aujourd’hui à construire demain, les éclaireurs, ceux qui vont loin dans le creusage de l’imaginaire », conclut Marie-Hélène Falcon.