Énergies fossiles : Nous vivons le point tournant !

mardi 23 juillet 2013, par Michel LAMBERT

« Make no mistakes, we are living the turning point ! »
 Tzeporah Berman, Healing Walk, Fort Mc Murray, 2013

Au Québec la question de l’énergie, du pétrole en particulier, est sur toutes les lèvres depuis le 6 juillet dernier. Mais plus globalement, la question du type d’énergie, de sa production et de sa distribution, les questions liées aux risques pour les gens, pour la société et les pour les écosystèmes que nous lègueront aux générations futures font depuis plusieurs années déjà partie des grands enjeux planétaires auxquels tous les humains sont confrontés. Au moment où j’écris ces lignes, des luttes sont en cours sur tous les continents et sans doute dans tous les pays pour préserver l’eau potable, l’intégralité de la nature ou encore les droits des communautés. Les enjeux paraissent parfois différents mais les causes sont les mêmes. Partout, les entreprises extractives, souvent soutenues par les gouvernements locaux, font fi de tout ce qui dépasse leurs bénéfices immédiats, imposant leurs « droits » de puiser et détruire le vivant, sans égard à toute responsabilité sociale ou environnementale.

Mais plus que jamais aussi, les alliances se multiplient entre les acteurs sociaux et les citoyens actifs sur ces questions. Les victoires s’additionnent. Au Canada de Stephen Harper, l’industrie des sables bitumineux est maintenant sur la défensive avec deux grands projets d’oléoducs paralysés (à l’Ouest et au Sud) et de nouvelles oppositions qui s’organisent autour des projets vers l’Est. Et si nous vivions le point tournant ?

« Nous sommes dans la bonne lutte, au bon moment ! »

Les 5 et 6 juillet dernier, j’étais à Fort McMurray avec l’humble intention d’exprimer notre solidarité, celle des progressistes du Québec, aux communautés autochtones, premières frappées par l’exploitation des pétroles bitumineux. J’y étais aussi pour dire que le débat qui s’impose de lui-même actuellement au Québec sur ces questions doit mener à stopper les projets d’oléoducs vers l’Est, tout comme d’autres communautés de Colombie Britannique l’ont imposé à leur gouvernement. J’y étais enfin pour affirmer que nos luttes bien québécoises font non seulement partie d’une lutte Québec-Canada-Premières Nations, mais aussi de la même lutte mondiale, essentielle pour construire ensemble cette « société durable » vers laquelle il nous faut tendre.

« Nous sommes dans la bonne lutte, au bon moment ! » Ces mots furent initialement lancés par Tzeporah Berman, ancienne co-directrice de Greenpeace International, lors de la journée précèdent la Marche de la guérison du 6 juillet. Une affirmation évidemment partagée par tous et toutes là-bas, mais surtout, de plus en plus largement dans toute la société. La protection de la terre et de la vie qu’elle permet EST l’enjeu de l’heure. Conséquemment, nous devons tout mettre en œuvre pour diminuer les impacts que nous connaissons déjà de la crise environnementale : multiplication des sècheresses, inondations, super tempêtes et autres catastrophes sans précédent. Cette lutte n’est plus que la lutte des autochtones ou des environnementalistes. La cause n’est plus que celle des québécois ou même des américains. L’enjeu est celui de tous et toutes, pour toutes celles et tous ceux qui sont et seront. C’est la raison pour laquelle de plus en plus de gens, au Québec, au Canada et partout dans le monde se mobilisent.

Nos gouvernements se braquent

À l’inverse des recommandations de la communauté scientifiques, le gouvernement du Canada refuse encore la notion même de changement climatique. Il fait de l’exploitation des sables bitumineux son unique stratégie économique, sociale et politique. Et pour parvenir à cette fin, il saccage Environnement Canada, élimine les règles de protection sur nos lacs et rivières et s’attaque aux groupes environnementaux qui dénoncent son aveuglement et celui de l’industrie des sables bitumineux. De la même façon, le gouvernement du Québec espère obtenir sa part des bénéfices d’une industrie, qui à elle seule, pourrait dérégler le climat mondial d’une façon permanente. Comme ailleurs au Canada, il est clair que s’ils sont informés des enjeux, les Québécois et Québécoises ne prendront pas un tel risque environnemental uniquement pour des questions budgétaires.

Une fin annoncée !

Dans tous les cas, avant même de considérer l’état de la planète, la vision mise de l’avant par nos politicien-es et par l’industrie est une vision à court terme. Indépendamment du nombre de milliers de barils encore disponible dans le sol, il s’agit de réserves non renouvelables et limitées. Obligatoirement, le jour viendra où il n’y aura plus rien à pomper. Dans quelle crise se retrouvera alors une économie canadienne essentiellement organisée autour de la production et de la distribution d’une seule ressource ? Dans quelle position se retrouvera un pays qui n’a principalement développé qu’un seul secteur économique alors que les « acheteurs », eux, auront profité de cette ressource pour développer l’ensemble de leurs sociétés ? Je ne suis pas économiste, mais si je l’étais, je dirais surement qu’il s’agit là d’un mauvais calcul. En 2013, on se doit d’exiger un projet de société qui va au delà du « On verra » !

Puis il y a l’ « Autre fin ». Celle du climat tel qu’on le connait aujourd’hui avec des réchauffement globaux qui iront bien au-delà du 2 degré tant décrié par les scientifiques du monde entier si nous exploitons ce qui reste de réserves en Alberta. C’est cette fin catastrophique que les communautés du monde entier refusent aujourd’hui. Et c’est pour cela qu’elles se mobilisent partout.

Solidarités, Partout

On me demande parfois pourquoi une organisation initialement à vocation internationale comme Alternatives se préoccupe aujourd’hui autant de la question des changements climatiques et conséquemment de celle des sables bitumineux. C’est parce que les impacts des changements climatiques sont déjà milles fois plus importants chez nos partenaires du Sud. Récemment encore, plus de 6000 personnes disparaissaient dans des inondations sans précédent en Inde.

Et c’est parce que nous refusons de faire de la « solidarité de plasters » que nous nous devons d’agir ici, en amont, sur les politiques de chez-nous qui sont parmi les premières causes des changements climatiques et des catastrophes vécues là-bas.

Au moment d’écrire ces lignes, la mobilisation contre l’industrie des sables bitumineux canadiens est mondiale. Aux États-Unis et en Europe, les groupes opposés à l’importation ou au passage du pétrole canadien font reculer les projets d’expansion et d’exportation de l’industrie. Chez nous, sous la bannière « Idle no more », les communautés autochtones se mobilisent comme jamais suite à l’adoption des dernières lois mammouth en violation directe avec les traités signés par le gouvernement canadien. D’Ouest en Est, des citoyens ordinaires, des municipalités et même des gouvernements provinciaux comme celui de la Colombie-Britannique prennent position contre le déploiement de nouveaux oléoducs. Les actions directes, les soirées d’information, les campagnes de mobilisation, les études scientifiques, les enquêtes d’opinion se multiplient. Il est clair aujourd’hui que l’opinion publique se retourne progressivement contre l’industrie pétrolière canadienne, qui pour la première fois est réellement menacée.

Le point tournant

Parce que les risques environnementaux sont inacceptables, parce que les bénéfices annoncés ne retomberont que dans les mains d’une minorité, parce que dans l’histoire du monde il faudra bien tourner un jour ou l’autre tourner la page de l’ère des énergies fossile ; il est maintenant nécessaire de rejeter les vieux modèles écocides et de faire des choix novateurs pour construire une société durable. Comme jamais auparavant, en 2013 et 2014, les mouvements sociaux de tous secteurs confondus feront campagne pour exiger cette société durable. En aout 2014, un Forum Social des peuples les réunira pour la première fois à Ottawa.

Nous sommes dans la bonne lutte, au bon moment, et nous vivons présentement le point tournant.


Michel Lambert a récemment coordonné la délégation québécoise à Fort McMurray et est actif au sein du Forum social des peuples qui se tiendra en aout 2014


Voir en ligne : Suivre la délégation québécoise sur Facebook

À propos de Michel LAMBERT

Co-fondateur en 1994 puis Directeur général d’Alternatives entre 2007 et 2020, Michel Lambert fut Président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale de 2017 à 2020. Il a travaillé au rapprochement des groupes et organisations de la société civile, d’ici et d’ailleurs pour la promotion des principes de la démocratie, de l’égalité et de l’équité pour tous.

Il a tour à tour développé plusieurs des programmes de solidarité internationale d’Alternatives en plus de lancer et animer de multiples campagnes de justice sociale au Québec et au Canada. Il a dirigé l’antenne d’Alternatives en République démocratique du Congo entre 2002 et 2005 avant de prendre la direction de l’organisation en 2007.

Michel Lambert fut membre du Conseil de Gouvernance d’Alternatives International , du Conseil d’administration d’Alliance syndicats et tiers-monde. Il a aussi été membre des Conseils de l’AQOCI entre 2009 et 2013, de l’Association pour le progrès des communications (APC) entre 2008 et 2011 puis entre 2017 et 2020 et de Food Secure Canada entre 2009 et 2012

Il a représenté Alternatives au Conseil International du Forum social mondial et au sein de diverses coalitions québécoises et canadiennes dont notamment, les coalitions Pas de démocratie sans voix, Voices/voix. le Réseau québécois de l’intégration continentale - RQIC et plus récemment au comité de coordination du Front commun pour la transition énergétique .

Michel Lambert a joué un important rôle de mobilisation et de construction lors du Forum social des peuples tenu à Ottawa en août 2014 .

En 2018, il confondait Cultiver Montréal, le réseau des agricultures montréalaises.

En 2020, il a contribué à la création du FISIQ, le Fonds d’investissement solidaire international du Québec.

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