En direct de l’Irak

Exode dramatique, aura de calme, prélude au pire

mardi 1er avril 2003, par Susan HARVIE

20 mars 2003 - En tant normal, la ville d’Erbil dans le Kurdistan irakien compte 300 000 personnes. Hier, Erbil était tristement silencieuse et déserte. Au sud de la ville, des rangées de véhicules de toutes sortes, allant des BMW flambant neuves aux wagons de fermes tirés par de vieux tracteurs, fuyaient la ville pour les zones rurales, jugées plus sécuritaires. Des deux côtés de la route, des abris improvisés faits de tentes, d’autobus, de voitures, de wagons ou de plastique, se dressent à côté des villages.

Ce qui surprend le plus de cet exode dramatique, c’est l’aura de calme qui règne. Il n’y a pas de klaxons criants, de conducteurs bruyants ou d’accidents de motos. Les Kurdes ont été menacés ou attaqués si souvent dans le passé que la plupart des familles ont développé une routine d’évacuation qui leur est maintenant devenue familière. Le départ des représentants des Nations unies a été le signal officiel ; les gens ont calmement commencé les préparatifs d’évacuation.

Même si Erbil semble désormais déserte, ce sont seulement ceux qui ont un peu d’argent qui ont pu quitter la ville. Les plus pauvres, n’ayant pas l’argent pour se payer un moyen de transport, doivent rester derrière. Puisque l’aide humanitaire internationale est principalement concentrée dans les camps pour les déplacés internes et les réfugiés, certaines organisations de gauche au Kurdistan ont décidé de rester dans les villes pour fournir de l’assistance aux plus démunis qui ne peuvent fuir. Des équipes de volontaires ont été mises sur pied pour offrir des formations en soins d’urgence, mais leur équipement et leurs ressources financières sont limités. Ces équipes n’ont pas de combinaisons pour se protéger des armes chimiques, pas de masques à gaz ou de téléphones satellites. Tout ce qu’elles possèdent c’est un courage remarquable et une détermination à rester calmes malgré leurs propres peurs, pendant qu’autour d’eux, plusieurs fuient à la recherche de sécurité.

Il y a beaucoup d’ambiguïtés parmi le peuple kurde à propos de cette guerre. Hormis le pouvoir politique en place, très peu de personnes appuient ce recours à la force. Plusieurs ne souhaitent pas la guerre, mais ont du même coup perdu espoir en toute autre solution qui permettrait de renverser le régime de Bagdad. Ils se résignent à cette guerre qui est maintenant bien commencée. Mais les espoirs de ce peuple ont été ébranlés lorsque l’administration américaine a annoncé que le régime actuel serait remplacé par un pouvoir militaire américain, plutôt que par un régime démocratique espéré depuis longtemps. Cependant, il y a une minorité significative de Kurdes qui s’opposent complètement à cette guerre. Ils croient, comme la plupart des Canadiens, que celle-ci entraînera la mort et des souffrances pour des milliers de civils innocents et le transfert du contrôle des ressources pétrolières irakiennes aux grandes entreprises privées. Ils ne croient pas que cette guerre apportera une vraie démocratie ou encore une économie qui servira les intérêts du peuple irakien.

Les premières frappes ont eu lieu ce matin. Tout le monde ici sait bien que ce n’était qu’un prélude à l’attaque massive qui se prépare. Tout le monde retient son souffle et espère que leurs familles et amis à Bagdad, Bassora et ailleurs en Irak survivront.


L’auteure est présentement au Kurdistan irakien, en mission pour Alternatives.

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Cet article est classé dans :

Partagez cet article sur :

  •    
Articles de la même rubrique

Volume 09 - No. 07

« Red Diaper Baby »

Articles du même auteur

Susan HARVIE

Wind of democratic change in Bolivia

Articles sur le même sujet

Réfugiés

Montréal, ville sanctuaire ?

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca