Des milliers de réfugiés fuyant l’avancée de l’Armée rouge avaient pris place à bord de celui que l’on avait reconverti en navire de guerre. On ne sait pas exactement le nombre d’entre eux, les estimations varient entre 6 000 et 9 000, dont plus de 4 000 enfants. Seules quelques centaines de personnes survivront, majoritairement des hommes, y compris quatre des cinq commandants qui auront réussi à trouver place dans les canots de sauvetage en nombre insuffisant. Et bien qu’il s’agisse de la plus grande catastrophe maritime, plus meurtrière encore que celle du Titanic, ce fait historique a été occulté jusqu’à ce jour de la mémoire collective tant par les Allemands que par les Soviétiques.
Le 30 janvier, c’est aussi le jour de l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933 et l’anniversaire de naissance du « Martyre ». Des anniversaires que l’on veut oublier. Mais c’est aussi celle du narrateur, né au cours du naufrage même, alors que sa mère sera l’une des rares rescapées.
C’est le 4 février 1936 que le juif dénommé David Frankfurter assassina le nazi Wilhelm Gustloff. Ce dernier fut alors élevé au rang de « Martyre » du troisième Reich. C’est ainsi que le bateau de croisière « sans classes », destiné à offrir des vacances sur les eaux norvégiennes aux travailleurs allemands, au nom du slogan « La force par la joie », fut baptisé Wilhelm Gustloff.
Cinquante ans plus tard, un jeune adolescent néonazi qui se cache derrière un site Internet destiné à la gloire du Wilhelm Gustloff, le navire, comme à celle du « Martyre », exalte le régime nazi. À son tour, il assassine un jeune juif. « Parce que je suis allemand », clamera-t-il. L’Histoire avec un grand H semble avancer en crabe, de même que l’histoire personnelle du narrateur qui termine son récit, également tout en zigzag, par un : « Tout ça ne finit pas. Ça ne finira jamais ».
Un livre dérangeant. Pouvait-on s’attendre à moins de la part de l’auteur qui nous a donné Le Tambour ? Günter Grass a reçu le prix Nobel de littérature en 1999.